Certains nous ont dit que nos récits respiraient un peu trop la joie de vivre pour être vrais ... C'est vrai ... comme pour tout le monde certaines journées sont plus difficiles que d'autres ... En voilà une :
Avertissement :
Le vocabulaire employé dans ce récit est celui adapté à une journée de m... . Rien n'a été censuré mais rien n'a été exagéré non plus. Rien du tout.
Une journée de merde est souvent précédée par une ou deux bonnes journées ...
Jeudi 24 juin 2010
Tu pars de Erzurum à l'heure prévue ou presque, ton objectif de la journée est à 95km mais ça fait 2 jours que tu te reposes alors ça devrait aller. Tu te rends vite compte que tu as le vent dans le dos et que ça va vraiment bien se passer. D'ailleurs, dans la première descente de la journée tu te permets de battre ton record de vitesse avec un petit 72 km/h. A midi tu trouves un resto sympa au bord de la route, tu manges super bien pour 2 euros et c'est reparti pour filer parfois à 50km/h sur le plat. Finalement en à peine 4h30 tu arrives à destination assez fier de toi et tu trouves des bons plans pas chers pour manger et pour dormir. Cadeau bonus : l'Italie veut participer à la bonne ambiance générale et se fait battre 3-2 par la Slovaquie pour être bien sûre d'être éliminée.
Vendredi 25 juin
Tu te réveilles en forme, tu vas te remplir l'estomac au buffet de petit déjeuner (1.5€ ... )et tu te dis que les 100km qui te séparent de la prochaine ville vont être presque trop faciles. D'accord, il y a un col à 2200m à monter, mais tu trouveras bien un ou deux camions pour te tirer un peu. Bon d'accord, le vent est sur le côté au lieu d'être dans le dos ... Mais avec ce que tu as bouffé ce matin ... Tu as des calories à griller ...
C'est là que ça commence à se gâter ...
Finalement les camions passent trop vite pour pouvoir t'accrocher assez souvent et le vent ... il est plutôt de face, non ? ... Au 70ème kilomètre tu te dis que 100km ça fait quand même beaucoup mais maintenant t'as plus le choix, t'as rien à manger et la dernière ville était 5km avant et on est pas des tarlouzes, on va quand même pas retourner en arrière !
10km avant le but tu cherches un coin pour poser la tente, mais à 1800m d'altitude il y a pas des tonnes d'arbres pour te cacher ... Alors tu arrives en ville et tu cherches à nouveau un bon plan ... Mais là le bon plan du coin, il accepte pas les dames, même mariées ... Le deuxième hôtel de la ville est hors de prix ... Et l'hospitalité turque n'est visiblement plus de mise dans la région. Reste plus que celui que tu trouves dans toutes les villes partout dans le monde : l'hôtel miteux. Tu sais celui avec les wc (turcs) qui puent bien sur le palier, les oreillers dégueux et la douche commune en béton sans eau chaude.
Alors là tu te dis qu'une douche même froide c'est mieux que rien et que l'hotel c'est toujours mieux que la tente car tu as la télé et tu pourras voir la Suisse se faire battre ... Manque de bol, la télé elle marche pas. Tant pis, le mieux que tu as à faire de toutes manières, c'est de dormir parce que 200km en 2 jours, même si tu veux faire bonne figure auprès de ta belle, ça te casse un peu ... En plus, la belle, tu pourras pas la toucher car même en disant que tu es marié, et ben c'est lits séparés obligatoires ... On rigole pas avec ça par là ...
Samedi 26 juin
Tu te réveilles bien reposé et tu ranges tes petites affaires comme d'hab en te disant que même si les chiottes puent toujours autant, aujourd'hui il fait beau et les 65km que tu as prévu, c'est vraiment du gâteau et que ce soir t'aura le temps de faire autre chose que chercher à dormir et à manger. T'es juste un peu frustré de pas savoir le résultat de la Suisse ...
C'est là que survient le coup bas : comme chaque semaine depuis presque 2 mois, tu te rends compte que tu as perdu un truc la veille. Oh ... rien du tout, juste la crème qui permet à tes petites fesses de te pas trop s'irriter après 5h de vélo. Mais à 9h le matin, tu sais déjà que tu vas avoir mal au cul pendant quelques semaines ... Parce que de la crème comme ça, les turcs, ils en ont pas besoin ...
Bref ... Tu charges les vélos mais tu repenses tellement à ta crème que tu te laisse surprendre par un bon vieux retour de pédale dans le mollet. Là, tu sais que en plus d'avoir mal au cul, tu vas avoir mal au mollet toute la journée.
En sortant de la ville, les gamins sont déjà à te demander de l'argent. Ils sont fous. Si ils savaient comme je suis déjà énervé, ils essaieraient même pas.
Mais en sortant de la ville, le minaret te rappelle à l'ordre : Allah Akbar ! (Dieu est grand) Et là tu te dis : oui mais grand comment ? Parce que aujourd'hui il s'est amusé en plus à te foutre 70km/h de vent de face ...
Alors forcément, tu te dis que la suite de la journée va être longue ...
T'es énervé donc tu t'engueules avec ta belle. Si tu sais pas pourquoi, elle doit bien savoir, non ? Donc tu lui fais la gueule toute la journée. Bien comme il faut, en restant bien 200m derrière, avec l'Ipod sur les oreilles.
T'essaies de profiter du paysage, mais le paysage, ça fait 400km que c'est le même et en plus ici ils ont décidé de refaire la route alors tu sais plus très bien où c'est le moins pire pour rouler. Les camions non plus d'ailleurs, alors finalement tout le monde roule à contre-sens.
A midi le vent à eu raison des calories et de la motivation disponible dans ton corps mais tu demandes surtout pas à te poser parce que il faudrait lui parler. Alors sans dire un mot, tu bouffes ton kebab. Tu pensais le payer 1 euros, comme marqué sur la porte, mais ça sera finalement 4. T'es tellement énervé, tu te dis que si tu cherches à négocier, tu vas le frapper alors tu paies et tu reprends la route. Toujours 200m derrière. Faut pas déconner non plus.
Le vent s'arrête pas et au loin tu vois un peu des nuages. Avec un peu de chance tu arriveras à destination avant.
Mais de la chance aujourd'hui, t'en as pas.
Alors le nuage bien noir, il t'arrive droit dessus, et le temps que tu mettes ton k-way, c'est plus de la pluie, c'est des litres de flotte qui tombent. Et le temps que tu remettes ton casque, c'est des kilos de grêlons ... Là tu te dis que tu as du bol d'avoir eu le temps de le remettre ton casque.
Bref, un nuage c'est pas la mort, 15 min plus tard t'es déjà sec car forcément, le vent, lui, il s'arrête pas. Et tu te dis que même à 7km/h sur le plat, tu arriveras à la ville avant le prochain nuage noir.
Mais 7km à 7km/h, ça fait une heure ... Allah il y peut rien ... Et une heure ça peut être long. Tu peux par exemple avoir 47 camions qui te dépassent en te faisant bien gicler l'eau de la route, parce que eux, le vent, ça les ralentit pas. Et en une heure, le nuage noir suivant tu as bien eu le temps de le voir arriver. Et même si il a pas de grêle, il te fait passer la température de 30°C à 12°C ... Et à 12°C, le coup de pédale sur ton mollet, tu t'en rappelles bien. Mais t'es presque content d'aller seulement à 7km/h, ça évite de devoir freiner, parce que pour freiner, il faut sentir tes doigts, et ton sang, quand il fait 12°C avec la pluie et le vent, il se dit que ça ne sert plus à rien de venir jusqu'au bout de tes doigts. Bien sûr t'as des gants pour ça, mais ils sont bien rangés au fond des saccoches, et les saccoches, sous la pluie, tu les laisses fermées.
Manquerai plus que la Suisse ai gagné ...
Alors Allah il a un peu pitié de toi quand même et il a fait en sorte que la polaire de ta belle elle soit sur ton vélo, histoire d'avoir une occasion de se réconcilier, parce que à 12°C en t-shirt, elle commence à cailler ...
Tes envies de camping du matin sont évanouies depuis longtemps, réduites à néant par l'ambiance générale et le temps orageux; il va falloir encore payer pour dormir ce soir. En arrivant en ville, pas de bon plan à l'horizon et il te faut une heure pour trouver un hôtel potable. Pas qu'il y en ait beaucoup, mais juste le temps de se faire comprendre et de retourner à celui qui est 1km en dehors de la ville, tu te rappelles ? Tu es passé devant en arrivant il y a une demi heure ...
Au cours de la négociation, tu apprends que la Suisse a perdu.
Ouf ... ça fera toujours un sarcasme de moins à supporter en revenant, ils auront pas fait beaucoup mieux que la France. Là tu te dis que peut être tes 24h de merdes touches à leur fin. Un jeune prof d'anglais logé dans l'hôtel te permet de te faire comprendre auprès du monsieur de la réception et tu ressens le début d'une vraie accalmie dans ton karma : tu apprends que l'endroit est calme, que l'eau est chaude et que tu auras même droit à des draps propres pour t'endormir !
Tamam !! ("Ok, marché conclu" en turc)
Et là tout va vraiment mieux : le jeune prof et ses trois collègues t'invitent à partager leur repas et tu boufferas aussi gratos le lendemain matin, non sans avoir pris une douche chaude (ton mollet et tes doigts te remercient) et passé la soirée à discuter en regardant le Ghana battre les USA en prolongation des 1/8émes de finale.
A 0h17, tu retournes dans ta chambre, ta belle se met au lit et s'endort en 1min37sec et toi tu t'assois sans même penser que tu as mal aux fesses et tu commences à raconter ta journée à ton écran en te marrant tout seul comme un con.
Alors que franchement, ta journée, jusqu'à 19h, tu l'as pas trouvée marrante. Du tout.