D'une dictature a l'autre ...

Votre mission si vous l'acceptez : visiter le Turkmenistan en 5 jours.

Jour 1 : "No pictures !"

Une fois passés la grille et après quelques minutes d'hésitation, Lydie ose quand même enlever son voile ... Ouf ...
La douane Turkmène donne la couleur : blanc. Blanc comme le marbre utilisé pour construire cette immense douane au mileu de nulle part.
Les officiers portent de jolis képis ronds immenses : pas de doute, on est en ex-Union soviétique ...
Ils sont plutôt sympas mais contrairement aux iraniens, ils savent y faire pour les backshishs : ici, il y a un guichet spécial pour ça : 11$ par tête de pipe. Mais on a déjà payé le visa ?! Oui mais ça, c'est la taxe d'entrée ...

De plus, on se rend vite compte que eux le voyage, ils connaissent pas :

- Vous êtes français, elle est Suisse !?!?? Mais comment vous vous êtes rencontrés ??
Son pote, plein d'assurance :
- Par internet évidement !
- Euh ... non, en Europe, on a le droit de passer les frontières, c'est tout. Et si tu veux tout savoir, je suis catholique et elle protestante ... Ca t'en bouche un coin ça, non ?

Bref, le reste est sans soucis, même pas une petite fouille des bagages. Alors on file vers Ashgabat, 40km plus loin et 1300m plus bas ... Dommage que le vent de face nous oblige à pédaler dans des descentes à 6% ...

Le long de la route il y a des postes de garde de partout alors là tu te rends compte qu'il va falloir la jouer serré pour prendre des photos parce que les photos ici, il parait qu'ils aiment pas ... Et tu comprends vite pourquoi en arrivant : c'est du grand n'importe quoi, sur des kilomètres, que des bâtiments en marbre blanc, agrémentés de statues en or à l'éffigie de feu le dictateur Nyazoy. Le tout en majorité construit par ... Bouygues ! J'espère que ça aura au moins rapporté un peu d'impôts à l'état français ... Alors c'est sûr que moi aussi si j'avais volé l'argent de mon pays pour me faire construire un empire en marbre blanc, j'aurais pas trop envie que ça se sache ... Ca doit déjà être assez dur de faire avaler la pillule à ses propres concitoyens ...
Beaux bâtiments, grandes avenues, et que des voitures importées des USA ... Les Turkmènes se prennent pour des américains. Facile, avec du pétrole quasi gratuit ... Heureusement, les femmes sont un peu plus classe qu'outre atlantique puisque la majorité portent encore les tenues traditionnelles colorées et de très longs cheveux noirs tressés.

Notre première mission en centre ville est assez vite remplie : on trouve en 5 min une terrasse avec de la musique de dj'eunz, de la vraie viande grillée ... et des bières fraiches ... Ca fait presque bizarre de retrouver une vie "normale" !

Au milieu de ce parc d'attraction blanc qui reste assez désert, on cherche ensuite la pension pour la nuit. Pour la trouver, il faut juste s'éloigner de 100m d'un des grands boulevards, et là, plus de marbre, il n'y a même plus de goudron d'ailleurs ... On est un peu perdus alors comme d'habitude, on demande aux gens dans la rue ... Un jeune nous accompagne pendant 5 min. Mais après réflexion il se dit qu'il faut qu'on le paie 5$ pour qu'il nous accompagne au lieu dit ... ! Euh ... non merci ça va finalement, on va se débrouiller tous seuls ... Mais le jeune il est pas content qu'on lui donne pas ses 5$ alors il donne un bon gros coup de pied dans mon vélo ... Là, je regrette déjà de pas avoir le numéro de la police à portée de main ... Finalement un voisin nous aidera quand même à trouver la maison ... qui était à 100m de là ...

Arrivés à destination, le gérant est une grande gueule assez pénible qui nous dit que Ashgabat c'est mieux que tout le reste du monde entier. Il essaie même de nous faire pleurer pour faire passer la pillule du prix : trois plus cher qu'il y a deux ans ... Ca c'est de l'inflation. Mais Johannes, le jeune allemand logeant ici aussi nous dira que c'est pareil dans tous les hotels. D'ailleurs, le soir on voudra aller boire encore une petite bière avec lui mais le tarif de 19 manats, soit 7$ nous poussera à retourner à notre terrasse de midi qui pratiquait des prix bien plus raisonnables : 1$ par bière.

Petites anecdotes insolites en vrac :
A Ashgabat, à 22h30, des centaines de femmes de 50 ans sont toujours en train de balayer les moindres recoins des beaux boulevards. Ici les camion balayeurs, ils connaissent pas.

A Ashgabat, ne cherchez pas les distributeurs d'argent, il n'y en a pas. Une seule banque en ville peut vous aider à tirer des sous avec votre Visa et une seule autre avec votre Mastercard. 4% de frais à chaque fois. Et seulement au guichet pendant les heures d'ouverture. Pas de bol pour nous, c'est samedi, demain dimanche, heureusement qu'on est pas à sec, sinon il nous aurait fallu attendre lundi !

A Ashgabat, internet c'est pas facile. Nous, le dimanche, on trouvera pas. On trouvera un internet café au Turkmenistan, à Dashogus, c'est 3$ de l'heure et il faut donner son passeport pour l'utiliser. Inutile de préciser qu'il ne vaut mieux pas dire de mal de Nyazov dans ses emails.

Au Turkmenistan, le gaz est (quasi) gratuit, pas les allumettes. Alors il faut une bonne raison à un turkmène pour qu'il éteigne la gazinière entre deux repas et des bonnes raisons, ils n'en voient pas beaucoup. Economiser le gaz n'en est absolument pas une.


Jour 2: "Non c'est pas là ..."

Avec notre compagnon allemand, on va visiter le marché au nord de la ville : immense, on trouve de tout, du dentifrice, des moteurs de voiture et des chameaux ...
L'après midi on décide d'aller repérer la gare routière pour le lendemain, on veut prendre le bus pour aller au nord, mais on veut s'arrêter en route pour aller voir un cratère en feu au milieu du désert. Bien nous en a pris, on se retrouve à silloner la ville en vélo en suivant les indications toutes plus foireuses les unes que les autres des personnes rencontrées. Finalement après 30 km, on a l'info qu'il nous faut et on peut rentrer à l'hôtel pour faire la lessive.
On aura encore bien profité du paysage de marbre blanc ...

Jour 3: "Highway to Hell !"

Départ matinal car le bus part à 7h. Débarqués vers Darwaza dans un café au milieu du désert, on se sent stupidement forts : à 12h30, on se lance à faire les 15km qui nous séparent du cratère, dont 7km de sable ... Mais forcément, dans le sable, on avance pas vite ...
A 13h30 on est en train de pousser les vélo dans les dunes. Il fait 55°C. C'est plus possible.
Alors on planque les vélos derrière une dune et on prend notre petit sac à dos avec de quoi manger, boire et dormir d'ici le lendemain. Au moment où on s'apprête à marcher les 5km qui nous sépare du but, un camion sorti de nulle part fait demi tour pour nous emmener. Waou ! Un Turkmene sympa ! A 80km/h dans les dunes, les 5km sont avalés en une poignée de minutes et à 14h, on arrive au cratère. Petite déception en arrivant : le trou fait 50m de diamètre et les quelques flammes qui en sortent font plus penser à une décharge qu'à autre chose ... Alors on se dit que de nuit c'est sûrement mieux ... reste plus qu'à attendre ... 6 heures ... On se planque à l'ombre du plus gros buisson à 500m à la ronde, il fait au moins 80 cm de haut ... et on dort. Quand la chaleur tombe un peu des petis animaux viennent nous tenir compagnie et le cratère commence à ressembler à quelque chose de joli ...
Mais quand la nuit est là ... c'est carrément les portes de l'Enfer ... Et on se dit que le spectacle en valait bien l'attente ...
A 22h, on prend le chemin du retour pour retrouver nos vélos, parce que tant qu'à devoir marcher 2h, autant le faire quand il fait frais et autant dormir comme il faut sur nos matelas.

Jour 4: "Lydie ! On dégage !"

Le retour de bâton de cette longue journée de la veille intervient le matin de bonne heure : le coup de chaud m'a mis KO et mon ventre me le fait bien savoir. Comme d'habitude, Lydie s'en sort bien mieux que moi ... alors on se traine vers la route et on retourne au café de la veille en espérant y trouver un bus pour nous emmener au nord du pays. Bien à l'ombre, on attend qu'une solution se présente à nous. Pour le ravitaillement, ça vient tout seul, plusieurs personnes nous offrent spontanément de la nourriture et nous donne des sous pour payer nos consommations ... ! Pour le transport ca sera plus compliqué que prévu car pour les bus, le Turkmenistan, c'est pas comme l'Iran : un jour ils vont au nord, le lendemain ils reviennent et aujourd'hui, ils ne vont pas dans le bon sens. Pas grave on a tout l'après midi pour trouver un camion ou un pick up.
Le coup de feu de midi est passé, et un des jeunes du café me demande d'essayer mon vélo. Il a pas l'air manchot, alors c'est d'accord. Comme les autres, il fait 20m et revient. Mais c'est pour me demander de règler la selle et les vitesses, puis il repart, loin, très loin et son patron me dit de rentrer parce qu'il fait chaud ... mais bien sûr ... encore 100m et je ne le verrais plus parce qu'il sera derrière la bosse ... Allez hop ... en selle sur le vélo de Lydie. Le patron aura beau me dire qu'il y a pas de problème, je vais quand même aller vérifier ...
Le temps que j'arrive en haut de la bosse, je le vois pas ... Merde ! Il s'est barré avec une voiture !?
Puis je vois le vélo seul sur le côté. Ouf, il a dû aller pisser ?!?
Puis je le vois accroupi à côté du vélo. Il a crevé ?!?
Puis je vois une saccoche ouverte et lui qui cherche dedans. Toi mon gars, tu va morfler.
Lui ne m'a pas encore vu et c'est avec le sursaut du gars qui a mauvaise conscience qu'il se retourne. 2 secondes plus tard il a les mains en l'air et se laisse palper les poches sans broncher sous un flot continu d'insultes en francais. Je me retiens juste de pas le frapper parce qu'il faut qu'il ramène le vélo.
Il ne sait pas changer les vitesses et je ne veux surtout pas lui montrer alors je lui gueule dessus pour qu'il pédale plus vite, histoire de le voir mouliner encore un peu plus. Je suis un peu en panique pour Lydie. Ce ptit con de 20 ans n'a rien pu prendre, mais c'est Lydie qui est restée au café avec tout l'argent et ce tordu de patron qui était dans le coup.
C'est bon je la vois de loin, pas de problème.
"Lydie ! On dégage !"
En arrivant le ptit con va vite se cacher et nous on plie bagage fissa en faisant un scandale devant les clients. Le patron fait mine de rien comprendre mais je gueulerai assez fort pour qu'il me rende ce que je lui avais déjà payé. Un repas et 2 litres de Coca gratos contre une tentative de vol, c'est finalement un bon deal quand les voleurs sont aussi stupides.
Mais avec tout ca, on se retrouve sur la route à 12h30 toujours en plein milieu du désert. Alors on se pose sous un abri de berger 2 km plus loin, et on attend un camion pour se faire prendre en stop. Des flics vus le matin viendront nous faire la causette. Inutile de leur parler de l'incident, dans une dictature pareille, ça nous apporterai plus d'emmerdes qu'aux voleurs ... et après 45 min d'attente, deux jeunes dans un camion s'arrêtent et nous embarquent gratos et sans prise de tête pour 5 heures de route vers Dashogus où on se pose directement dans un hôtel ... ouf ...

Jour 5: "Passports !"

Toujours un peu HS, on reprend les vélos un peu stressés : avec un visa de transit, les points d'entrée et de sortie sont normalement définis d'avance. Et nous, on devrait pas être là ... mais à l'autre poste, à 150 km plus au nord. Mais notre camion, il allait à Dashogus, pas à Könye-Urgench donc on va essayer de faire avec. A priori c'est passé pour d'autres avant nous ...
Coup de bol, on tombe sur un petit jeune qui est tout fier de parler anglais, mais qui visiblement ne sait pas trop quoi faire avec des touristes.

- Mais il est où votre  guide ?
- Ben ... on a un visa de transit, pas de tourisme donc le guide est pas obligatoire ...
- Ah ok ... et pourquoi vous êtes restés que 5 jours ?
- Ben ... on a un visa de transit donc on a pas le droit de rester plus longtemps ...
- Ah ok.

Il ne fera aucune remarque sur notre erreur de douane et se contentera des questions classiques (pour ce pays) :

- J'espère que vous n'avez pas pris de photos interdites au cours de votre séjour ?
- Nous !? Mais NON ! Evidement !
- Je peux voir votre appareil photo ?
- Bien sûr Monsieur ! (l'appareil photo tu peux le voir, mais la bonne carte mémoire, elle est caché depuis longtemps dans le soutif de Lydie ...) Il doit croire maintenant qu'on faisait un reportage animalier ou qu'on aime bien prendre des dunes en photo !  

S'en suit un questionnement éclair sur le contenu des bagages et il finira par LA bonne question :

- Est-ce que c'était bien le Turkmenistan?
- Alors je t'explique : euh ... NON ... etc etc
- Ah bon alors je suis vraiment désolé pour vous ...
- Nous aussi, on est désolé pour toi et ton pays surtout ! Merci au revoir !

Bon je suis un peu sévère, mis à part une poignée de cons, les gens ont été assez sympas avec nous. Ashgabat et le cratère valent vraiment le détour. Le problème c'est que c'est une vraie bonne dictature : comme en Iran, le gouvernement achète la paix sociale en donnant le pétrole et le gaz et dans le même temps, ils font visiblement ce qu'ils veulent avec l'argent public et les droits de leur concitoyens. Nyazov a commencé la reconstruction de Ashgabat en marbre blanc, son successeur continue sur la même lancée et il est toujours aussi difficile pour les Turkmènes d'aller voir ce qui se passe en dehors de leur pays. Par rapport aux touristes, la politique est simple : ils veulent leur argent, mais si les touristes pouvaient éviter de venir voir comment ça se passe, ça serait aussi bien ... Reste que le gros avantage par rapport à l'Iran, c'est que eux au moins ils ne prennent pas la religion et la haine de l'étranger comme pretexte à leur petite dictature.