On roule sur l'or !

Conga No Va !

Nous ferons 3 jours de repos à Cajamarca, profitant du wifi de l'hôtel, du marché juste en bas et de la place centrale très animée. Défilés journaliers, discours et affiches dans toute la ville, les paysans de tous les villages environnants ne sont pas contents et le font savoir depuis de longs mois déjà. Le gouvernement et une entreprise minière américaine ont pour projet d'assécher un lac dans les montagnes et d'exploiter l'or qui est au dessous. Les gens scandent "Conga No Va !" en espérant garder leur eau, leurs champs et un avenir pour leurs enfants mais nous sommes bien sceptique quand au poids que ces gens peuvent avoir face à un gouvernement avide d'argent.

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Nous observons toute cette animation de loin en étant presque rassuré de voir que certaines personnes par ici sont soucieuse de la protection de l'environnement. Mais ce projet de mine les touche personnellement et affecterait toute leur vie. Nous quittons Cajamarca un dimanche de finale (de foot) et pendant l'après-midi on s'arrête dans tous les villages traversés pour demander le score. Le meilleur coin pour regarder la télé 2 minutes reste encore le poste de police où il y a le câble et apparemment pas grand chose d'autre à faire.

Les jours de route de Cajamarca à Huamanchuco ressembleront à une jolie promenade du dimanche. Des villages colorés, des gens souriants et répondant à nos salutations, des repas de midi copieux (poulet-riz) pris dans des boui-boui sympathique et des paysages changeant, du soleil, du vent dans le dos, et au loin les montanges de la Cordillera Blanca, culminant à plus de 6000m.

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Mines d'or

Et puis brutalement en quittant Huamanchuco, les gens paraissent plus méfiants, les "gringos" deviennent agressifs et gratuits, les enfants rigolent à notre passage en réclamant de l'argent, les 4x4 et les camions se font plus nombreux et moins courtois sur la route. On se demande bien ce qui nous arrive. Ce matin nous étions sur un petit nuage, et là nous sommes de retour en Indonésie. La route remonte et au détour d'un virage la montagne à perdu sa cime.

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Les camions tels des fourmis montent à vide et redescendent plein de gravats. Nuit et jour. Il y a donc de l'or aussi par ici. Et pas qu'un peu. Les deux jours qui vont suivre nous les ferons dans la poussière, en croisant parfois des entrées de route gardées par des vigiles en uniforme et armés. ça ne rigole pas avec la sécurité. Ce sont des tonnes et des tonnes de cailloux que l'on bouge d'un endroit à l'autre pour la fièvre de la recherche de l'or. On se demande bien ce qu'en pense les quelques habitants qui survivent encore par ici dans des maisons qui ont l'air de camps de réfugiés, leurs deux vaches et le ruisseau peut être pollué au cyanure. Nous sommes quand même halluciné de voir à quel point les mines changent l'état d'esprit des gens. L'or n'apporte apparemment pas la politesse et les bonnes manières.

Mais qu'est-ce qu'on peux y faire ? Le Pérou est un pays pauvre et rempli de ressources naturelles. C'est compréhensible de vouloir les exploiter et d'améliorer l'économie. Mais est-ce que ça en vaut toujours la peine lorsque les conditions de vie des gens qui vivaient là avant sont bafouées et réduit les possibilités de vivre sainement à néant ?

La Libertad

Nous aurons le temps d'en discuter avec Buffy, australien auto-proclamé "Hardcore" (un "dur de chez dur" ...)  que nous rencontrons à Mollepatta. Une descente vertigineuse pour atteindre la rivière Libertad et en face, la route qui remonte.

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Mais pour une fois, cette route d'en face est encore plus belle puisque nous avons un échappatoire. Pour éviter de faire les 1000 mètres de dénivelé il semble possible de longer l'ancienne route qui suit la rivière. Nous avions lu le blog de Aurélie et Florent passés par ici quelques mois avant nous. La route n'est pas entretenue, il faut traverser la rivière à deux reprises, mais au moins, normalement, ça débouche quelques 25 km plus loin.

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Buffy à lui aussi entendu parler de cette alternative et il est plus que motivé pour essayer, alors on le suit. Les premiers 15 km sont faciles. La route n'est pas praticable en voiture à cause des nombreux éboulement mais en poussant les vélos sur quelques mètres ça passe aisément.

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La vallée est magnifique, tranquille, excepté sur une pente de l'autre rive où 1000m plus haut, les camions d'une énième mine d'or déversent les gravats inutiles directement à flanc de montagne et atterrissent dans la rivière. Faut pas vouloir descendre cette rivière en kayak ... En fin de journée nous arrivons à ce qui ressemble un immense glissement de terrain. Nous trouvons facilement un coin pour camper mais il me faut 30 bonnes minutes pour accéder à la rivière pour avoir de l'eau. On devine une route en face mais impossible de savoir si elle continue derrière. On se couche anxieux pour le lendemain en émettant l'éventualité de rebrousser chemin. Le réveil sonne tôt, mais la journée promet d'être longue. Il nous faut plus de 2h pour descendre à la rivière et la traverser.

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Eric fait un premier passage dans l'eau avec deux sacoches. On le voit lutter contre le courant avec de l'eau jusqu'à la taille. Il revient et tente un deuxième passage plus bas, là où la rivière est plus large et donc moins profonde, mais le courant est violent et il refuse de me faire passer avec les bagages.

On attache les sacoches restantes avec nos petits bouts de cordes, juste au cas où il en lâcherait une, histoire de ne pas la voir filer dans le courant. Il passe tous les bagages et les deux vélos, aide un peu par notre ami Buffy. Dernier passage où il me pousse et me soutient pour que je garde un semblant d'équilibre. L'eau n'est pas très froide et de toute façon on est concentré à ne pas tomber et se faire emporter.

Une fois de l'autre côté il faut bien continuer. On retrouve un semblant de piste pour 2 km puis à nouveau la route s'arrête net, un nouveau glissement de terrain à tout emporté. Après quelques recherches on trouve un nouvel accès à la rivière, mais cette fois elle est encore plus rapide et Eric arrive à peine à faire deux pas dans l'eau. Impossible de traverser.

On cherche une alternative pendant plus de 2h, on remonte et on descends un peu pour voir si il n'y aurait pas un passage plus loin mais à certains endroits passables on ne peut pas accéder à la rivière puisqu'il y a au moins 10 mètres de ravin à cause des éboulements. On perd un peu espoir, on ne veux pas risquer notre vie ou de perdre nos bagages alors on regarde de l'autre côté en étant résigner à faire demi-tour. Mais l'optique de faire les 2km dans l'autre sens, le passage de rivière, remonter la berge et 15km de piste avant de se taper 1000m de déniv ne nous motive PAS DU TOUT. On hésite, les autres cyclos sont passés il doit forcément y avoir un moyen. Sauf si l'éboulement qui est devant nous est récent.

Et puis on voit un gars qui barbotte dans l'eau, juste de l'autre côté. On attire son attention et on essaie de comprendre si oui ou non il y a un passage. Lui vient de l'autre côté, de là où on veut aller, c'est forcément que la route débouche quelque part, ce gars là n'est pas venu en hélicoptère. Et il ne fait pas que "barbotter" c'est un chercheur d'or. Avec sa pelle et ses outils il à l'air de sortir d'un vieux western américain. Avec le bruit de la rivière nous avons de la peine à le comprendre. Ce qu'on voit c'est que lui aussi est incapable de venir de notre côté.

Buffy suggère de longer le bord de la falaise dans l'eau et d'atteindre la berge après un coude à 20 mètres de nous environ. Mais nous on ne le sent pas du tout. Il y a des tonnes de rochers qui risquent de nous tomber dessus et Eric avait déjà de la peine à faire deux pas tout seul alors on ose pas imaginer le faire en portant les vélos et les bagages. Mais Buffy est une tête brûlée. Pour lui il est hors de question de faire demi-tour. Alors on le regarde passer ses deux premières sacoches et revenir en nous disant que ce n'est pas si pire. On a de la peine à le croire. Il avait de l'eau jusqu'au ventre et il lui a fallu 20 bonnes minutes pour faire l'aller-retour en peinant dans le courant pour revenir.

Si on passe et que plus loin c'est encore pire, nous n'aurons plus assez à manger pour faire le trajet en sens inverse. Notre petit-déjeuner de ce matin est déjà bien loin, et nous n'avons pas la tête à entamer déjà maintenant nos provisions. Juste au cas où. On ne se rendait pas compte dans quelle galère on se lançait.  On sert la main de Buffy et on lui souhaite bonne chance. Nous, on rebrousse chemin. Si on devait traverser comme lui, c'est encore Eric qui devrait faire tous les aller-retour, remonter le courant au moins 6 fois, sans savoir ce que le chemin plus loin nous réserve encore. Le risque est beaucoup trop grand. Mais Buffy passe son vélo et le reste de ses bagages. On le regarde depuis en haut et on hésite. De toute façon on a plus le temps de faire la route retour aujourd'hui, alors qu'est-ce qu'on risque. Si on prend notre temps et qu'Eric fait des pauses entre chaque voyage, même si il nous faut tout le reste de la journée nous aurons la nuit pour nous reposer et réfléchir si ça ne passe pas plus loin. Buffy nous sourit depuis l'autre rive. Si ça passe, nous aurons 7 km à faire avant de rejoindre la route. 7km. Ou tout refaire dans l'autre sens. C'est vraiment trop bête, alors on décide d'y aller aussi.

Eric fait un premier passage avec les deux sacoches les plus légères et effectivement le courant est moins fort près de la falaise. Le stress d'avoir un caillou qui nous tombe sur la tête est bien là mais si on ne touche pas le bord ça devrait passer.

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Eric revient, refait un passage avec moi et Buffy nous attends à mi-chemin pour nous aider. A 3 on met beaucoup moins de temps que prévu et le stress retombe peu à peu. On remonte les bagages sur les vélos et on fait encore 1km au milieu des mines de charbon abandonnées, en poussant les vélos dans les rochers laissé par le récent éboulement de terrain qui nous complique tant la tâche. Et on arrive à nouveau au bord de l'eau, toujours du mauvais côté. La rivière à cet endroit est large et ça à l'air plus facile que le premier passage. On passe presque facilement (comparé à l'autre c'est clair ...) et la piste à l'air en meilleur état mais nous sommes quand même préparer à devoir tout refaire dans l'autre sens. On mange un biscuit et une mandarine et on continue. Et puis c'est l'euphorie, il y a d'autres chercheurs d'or au bord de la rivière et 2 km plus loin, on voit des motos ! C'est donc que ça passe !!!

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Et en effet, 30 minutes plus tard on aperçoit des maisons et on retrouve la civilisation. On fait une pause à la petite échoppe du village pour faire le plein de nourriture et d'eau et on se trouve un coin tranquille pour camper au bord de la rivière. Les jambes et les pieds font mal de toutes les griffures des arbustes et des coups sur les rochers, les bras et les épaules grognent d'avoir porté et poussé les vélos toute la journée, mais on est passé. 22km pour presque 8  heures d'effort. C'était pas plus court que par en haut, mais au moins on s'en souviendra :)

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Le lendemain Buffy part devant, nous sommes occupés à réparer nos chambres à air, 5 crevaisons ces deux derniers jours pour Eric. Les petites épines de la piste de la veille s'enfoncent petit à petit dans les pneus sous le poids du chargement. La route descend le long d'un canyon et on en prend plein la vue.

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L'endroit est aride, il fait chaud  et sec et nous descendront jusqu'à 500 m d'altitude. Il fait une chaleur infernale et nous sommes bien contents de devoir remonter dans la montagne.  On arrive juste à temps dans un petit village minier bien glauque pour voir Rodgeur embrasser sa 7eme coupe de Wimbledon (oui oui, ils n'ont pas l'eau courante mais le satellite, pas de problème) et on enchaîne en direction du Canyon del Pato. En route nous faisons la connaissance de Corinne et Joseba qui sont en voyage à vélo depuis plus de 3 ans. Asie, l'Afrique du nord au sud et maintenant les Amériques, nous discutons un moment puis les laissons aller manger pendant que nous entamons la montée. Ils nous rattraperont le lendemain et ensemble nous rattraperont Buffy. Nous doublerons aussi 2 slovaques et croiseront 2 italiens et autre couple de français avec leur petite de 3 ans. Pas de doute, on est de retour sur l'autouroute à cyclistes péruvienne.

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Nous arriverons à Caraz 10 jours après avoir quitté Cajamarca. 10 jours intenses et variés et nous avons bien besoin de nous reposer. Nos compagnons de route sont dans la même auberge que nous et la petite cour intérieur est propice au nettoyage et réparation des vélos. Eric vient de passer deux jours les mains dans le camboui, les vélos n'ont pas aimé se baigner dans 1m d'eau .... Nos habits propres et nous prêts à repartir au sud.

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