Dites 33

"On y va !
Non, on y va pas.
...
Ouais, mais si en fait t'as raison, on y va !
Ouais, bof ... non moi je veux plus j'en ai marre.
...
Bon en fait t'as raison, ça sera trop bien !
Alors c'est bon t'es sûr(e) ?
... "

Répétez cette discussion 1 fois par semaine depuis 5 mois en inversant les rôles de temps en temps et vous obtenez une bonne dose d'angoisses, d'envies, de tensions et d'excitation. Tout à la fois.

Bien plus difficile que de partir : décider de continuer, ou pas.


Pendant plus d'un an, on adoré cette sensation de ne pas avoir de date de retour. La gestion de notre budget ne nous imposait rien à moyen terme et nous n'avions pas a rentrer pour un travail puisque nous avons démissioné. Mais plus la NZ s'approchait, plus cette liberté commençait à nous peser, comme un grand trou noir angoissant une fois l'objectif initial atteint. On pensait que la question du retour se règlerait toute seule, que petit à petit grandirait en nous un nouvel objectif commun évident et que celà nous permettrait d'envisager sereinement la suite une fois arrivé en Nouvelle-Zélande. Sur les vélos, on se pose beaucoup de questions, mais on ne trouve pas beaucoup de réponses. Et la même question nous revenait toujours : aller en amérique du sud ou rentrer directement ?

De jours avec, des jours sans.

Nous ne sommes ni l'un ni l'autre du genre à prendre des décisions facilement, mais à un moment donné nous n'avions plus vraiment le choix, il a fallu trouver la force d'écrire la dernière phrase de ce dialogue de sourd et il a fallu encore plus de force pour ne pas la modifier 1000 fois.

Alors rentrer ? Pour se glisser sous la même couette tous les soirs sans se demander où sera notre lit demain, pour ne plus devoir réparer les vélos, la tente, ..., pour cuisiner au four quand on le veut, pour refaire des apéros-chips-au-lard les jeudis, pour retourner skier, pour ne plus (trop) se prendre la tête à économiser encore quelques dollars, pour retrouver un rythme de vie avec un travail, des week ends, pour retrouver une vraie vie sociale avec des gens qu'on ne voit pas seulement quelques jours, pour arrêter de jouer au touriste 24h / 24 et avoir à nouveau le sentiment d'être utile à quelque chose, pour ne plus avoir mauvaise conscience de ne pas visiter le truc immanquable du coin, pour ne plus avoir peur d'offenser quelqu'un pour des raisons incompréhensibles pour nous ?

Ou bien continuer ? Pour finalement faire le Tour du monde, pour finalement rouler 40'000km, pour réviser notre espagnol, pour aller skier au Chili, pour ne pas être déjà obligés de décider ce qu'on fera en rentrant, pour ne pas finir ce voyage avec le goût amer de la Nouvelle-Zélande, pour allonger encore ce plaisir de prendre un accompte sur une hypothétique retraite, pour encore discuter sans tabou avec des compagnons de routes de quelques jours, pour encore avoir le droit manger sans retenue des quantités indécentes de pâtes, de McDo, de Nutella, de bonbons qui viendront seulement user quelques pignons de plus, pour s'habituer à d'autres cultures et essayer encore d'élargir la bulle dans laquelle nous vivons, pour ne pas encore regretter d'y être allé trop tard alors que c'est tellement facile de le faire maintenant, pour finalement voir Ushuaïa en vrai après l'avoir tant regardé à la TV ?

Le 24 novembre 2011, on a enfin réussi à mettre sur papier un itinéraire ultra pécis qui, c'est une première dans l'histoire de nos plannings, inclus une date de retour. Et pour le moment malgré quelques péripéties morales et administratives on s'y tient et on peut enfin écrire la dernière réplique de notre dialogue :

"Vendu !"

Enfin ... "Acheté !" plutôt, puisqu'on a enfin effectué le paiement pour une croisière tout confort à bord du Bahia Grande qui partira le 16 mars de Auckland avec pour destination : la Colombie.

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20 jours sans escale, un rapide passage du canal de Panama et une arrivée à Carthagène. Une alternance de vélo et de bus devrait nous emmener à travers les volcans d'Equateur, Le Machu Pichu, le Salar de Uyuni, le Pérou, la Bolivie, le Chili pour arriver tout au sud de l'Amérique du sud, à Ushuaïa. De là, plus trop de vélo prévu, mais une remontée probablement motorisée de l'Argentine vers Buenos Aires et un retour par un moyen de transport non identifié vers l'Europe, pour enfin revenir à notre point de départ aux alentours de décembre 2012, 33 mois plus tard.

Ce programme tient finalement en peu de lignes malgré une gestation assez longue. Décider c'était difficile et pour concrétiser la décision, il a fallu encore répondre à pas mal de questions.

Quand rentrer ?
Après presque 2 ans de voyage, on arrive maintenant à dire qu'on a envie de rentrer ; les contrats EDI (Errance à Durée Indéterminée) ne sont pas fait pour nous. Ca ne veut pas dire rentrer tout de suite, mais juste qu'on aime l'idée de rentrer et qu'on a maintenant besoin de savoir quand on rentrera. Pas au jour près, mais l'hiver commence en décembre, alors on se disait que ça serait bien de ne pas rater trop de chutes de neige ...

Une fois là bas, par où passer ?
Ca, on ne le sait pas trop. Les incontournables touristiques ne manquent pas et dicteront probablement la ligne générale, mais nous devrons nous adapter à la météo (ce sera l'hiver) et essayer de ne pas trop déraper sur la date de retour prévu. Rien de très précis donc entre début avril et début décembre 2012 mais on s'en contente, ça fait parti du charme.
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Pourquoi ne pas y aller en avion ?
Ca c'était facile, c'est la règle pour ce voyage : pas d'avion tant que c'est décement possible (on met ce qu'on veut derrière "décement" ; attendre un hypothétique bateau 2, 3 semaines ou plus au Timor Leste, ce n'était par exemple pas décement possible pour nous).

Pourquoi cette règle ?
2 raisons principales : d'abord l'avion n'est a priori pas très sain pour notre planète, mais c'est aussi un moyen de transport qui permet de se "téléporter" ultra facilement d'un endroit à un autre, en laissant un choix de destinations totalement illimité. Quand on préparait le voyage c'était vraiment difficile de choisir un itinéraire, chaque pays mériterait une visite, alors en excluant l'avion dès le départ, le tracé a été grandement simplifié et nous a fait passé dans des endroits inoubliables que nous n'aurions jamais visité si nous avions eu le choix de prendre l'avion. Aller en Chine et faire une croisière Sydney - Auckland ne sont que deux exemples parmi tant d'autres. C'est radical, mais on ne l'a pas encore regretté une seule seconde.

Pourquoi un bateau cargo ?
Sans avion, il ne reste que le bateau pour aller de la Nouvelle - Zélande à l'AmSud. Un bateau à rame : c'est un peu long et pas facile à organiser. Un voilier : on en a pas. Des propriétaires cherchent parfois des équipiers mais ce trajet est principalement contre vents et marées et donc trés peu adapté à notre absence d'expérience, sans parler des vélos qui ne trouveraient pas forcément leur place sur une petit voilier. Les bateaux de croisière : on en pas trouvé qui vont en AmSud, seulement vers les USA.
Reste donc le cargo.

BahiaGrande

Coupons court tout de suite aux idées reçues, le voyage en cargo n'a plus rien du truc de routard baba cool qui va laver le pont aux ordres d'un commandant de bord alcoolique. Les normes de sécurité dans les ports et sur les bateaux interdisent visiblement tout "cargo stop", comme il était encore imaginable il y a 10 ans peut être. De nos jours, il faut être accrédité pour avoir le droit de travailler sur un navire. Sans accréditation, le voyage en cargo est réservé aux bourgeois en mal d'aventure qui veulent profiter des cabines passager qui existent parfois. Les navires transportent des millions d'euros de marchandises et les armateurs n'ont aucune raison de perdre le moindre centime à s'occuper des touristes qui voudraient méditer au milieu de l'océan et de l'équipage philippin. Il faut donc payer le prix fort pour couvrir tous les frais de pension complète et de paperasserie :

Auckland (NZ) - Carthagène (Colombie), 20 jours de mer, 2 personnes en cabine double :
CHF 5'900,-- / 4'900 Euros
Hors assurance annulation et frais de visite médicale obligatoire.

Alors ce prix là, c'est sûr qu'on a du faire une croix sur la nouvelle Audi Q7 et même sur le home cinema quand on rentrera. Question de choix. Et oui, on sait, c'est bien plus cher que l'avion, mais au moins il n'y a pas de surtaxe pour les vélos ! Waouhh !
Après question "ambiance", ce ne sera pas non plus le Pacific Pearl : pour les repas, tu manges ce que tu as dans ton assiette, pour les loisirs, tu as le droit de rester dans ta chambre et pour la camaraderie, pas grand chose d'autre que des matelots qui mettent peut être un an à gagner ce qu'on va dépenser en 20 jours ; question intégration, il va y avoir un gouffre à combler.

Alors puisque c'est si cher et que l'ambiance ne s'annonce pas tip top, peut-on vraiment considéré que c'est "décement possible" de se passer de l'avion ? (voir première interrogation)
Contrairement au passage entre le Timor et l'Australie, cette fois le bateau est là, il peut nous emmener et le timing est vraiment bon par rapport à notre super planning. La situation est donc infiniment moins aléatoire qu'au Timor. Et puis il devrait quand même y avoir quelques activités sympas, genre essayer sa combinaison de sauvetage, s'entrainer à tirer une fusée de détresse, etc. Certains ont même eu droit à une soirée barbecue avec bal improvisé. Lydie se réjouit déjà d'être la seule fille pour faire danser tout le monde ! Et enfin, ce n'est pas quand on sera rentrés, avec un travail et 4 semaines de vacances par an, qu'on aura envie d'en passer 3 sur un bateau au milieu de nulle part. On a l'occasion d'essayer maintenant, c'est probablement une expérience assez hors du commun et ça nous emmène là où on veut aller. Pour nous, c'est finalement tout à fait suffisant comme raisons et on fera de notre mieux pour s'adapter au reste.

Pourquoi aller en Colombie ?
On aurait bien aimé arriver plus au sud, vers Valparaiso là où on préfèrait a priori aller, mais on a pas trouvé de bateau qui faisait ce trajet dans notre créneau temporel (notre visa expire le 19 mars et le niveau de vie en NZ ne nous permet pas de rester bien plus longtemps). La Colombie est la destination la plus au sud qu'on trouvé donc la solution la moins longue pour atteindre Ushuaïa sans y passer encore 2 ans. Et puis ça sera peut être la Colombie, mais peut être pas : ces bateaux ont un itinéraire prévu, mais au gré des fluctuations des prix des marchandises transportées, la destination finale n'est pas garantie ! Et finalement, encore une fois, on est bien contents de se laisser porter par cet état de fait.

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Pourquoi est ce que ça a mis si longtemps pour se concrétiser ?
Trouver un bateau n'est pas évident, le réserver encore moins (du moins dans notre cas). Beaucoup de paperasse, d'erreurs dans les prix, de visites chez le médecin à prévoir pour prouver qu'on est pas en trop mauvaise santé (il n'y a pas de docteur sur le bateau), un vaccin contre la fièvre jaune à faire pour Lydie, des visas à prévoir... bref plein de trucs qui donnent l'impression qu'on ne pourra jamais monter dans ce bateau. En plus, le désenchantement Néo-Zélandais a provoqué des chutes de motivations qui ont considérablement allongées certaines prises de décisions.

Comment rentrer depuis l'Argentine ?
On ne le sait pas encore. On essayera peut être de trouver à nouveau un bateau mais on préfère attendre de voir comment se passe ce premier trajet.

Et voilà ! C'est comme si c'était fait ! En plus le docteur vient de signer nos certificats d'aptitude aujourd'hui, donc tout roule et il ne nous reste plus qu'à s'occuper de deux trois bricoles avant d'être fin prêts pour continuer. Juste des millions de trucs en fait. Vivement qu'on soit dans le bateau, on n'aura plus à s'inquiéter de rien puisqu'on ne pourra rien y faire !
Et sinon en Nouvelle-Zélande ?
Depuis Invercargill, on a fait le tour du sud de l'île du sud, on a vu des pingouins, des lions de mer et des phoques, le tout par beau temps, sans sandflies et avec presque pas trop de vent de face. De quoi se réconcilier avec ce pays.

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Jusqu'au soir où 4 guignols visiblement du coin (qui n'étaient ni bourrés, ni très jeunes) se sont dit que c'était super marrant de balancer des pierres sur des touristes qui mangent tranquillement leurs pâtes devant leur tente. Pas de mal ni pour la tente ni pour nous, seulement une nuit blanche à se demander si ils allaient revenir et quelques heures de plus à se demander pourquoi les gens ont si peur quand on dit qu'on est allé en Iran. On a jamais fait autant travailler la police qu'en Nouvelle-Zélande ...

Mais depuis un fermier nous a offert sa pelouse pour camper et du ravitaillement fait maison, on s'est bien marré avec Julien au camping à Dunedin, et vue la route chargée qui nous attendait on a pris un bus pour Christchurch pour s'éviter quelques dénonciations de mauvais conducteurs. Positive attitude ! Là on vient de passer 2 jours à Christchurch chez Greg de Warmshowers et comme presque toujours, c'était vraiment sympa ! On reprend les vélos après presque 4 jours sans rouler et on remonte au nord où on espère pouvoir marcher et faire du kayak sans trop se ruiner. Encore des routes en gravier au programme, tant mieux !

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