En quittant Quito, montagnes russes en tout genre

Pour quitter Quito, Axel et Andrea nous escortent 20km à travers les chemins de traverse.

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Direction : l'est et la jungle. Pour y arriver, un petit col à 4065m, notre premier à plus de 4000m. Dans quelques mois cette marque nous fera probablement bien rigoler vu ce qui nous attend plus au sud, mais la première fois c'est toujours différent.
Pas de gros problème pour le franchir, un peu plus de pauses que d'habitude au delà de 3700m mais rien de bien méchant. Le plus dur reste donc le froid (4°C), le vent (qui transforme 4°C en -4°C), et la pluie (qui transforme -4°C en -10°C). Bref, on est content de trouver la petite chapelle au sommet pour manger un bout et s'habiller avant la descente. Et non, les chauffeurs de camions ne nous font pas coucou, ils se signent en passant devant la vierge ... Touristes de peu de foi ... Quelques kilomètres plus loin, on est déjà 2000m plus bas et on trouve refuge dans la salle de gym des pompiers, une fois leur entraînement terminé.

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Le lendemain, on essuie notre pire journée de pluie de tout le voyage, un déluge équatorial entrecoupé parfois de quelques minutes de répit, pour reprendre de plus belle. Cette fois, ce sont les bonnes soeurs qui nous sauvent la mise en nous ouvrant une de leur salle de classe. Avec ce qui est tombé, la jungle peut pousser tranquille.
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On fait un petit détour par Misahualli, le spot touristique du coin, pour se prendre pour Mowgli et jouer un peu avec les singes (mais pas trop, la dernière fois nous a suffit). Mais pas de tour en bateau pour nous, on se contente de la balade en vélo entourés de plantations de cacao et des maisons en paille.

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Pas de rencontre avec de vrais indiens non plus, même si Jean-Luc, lui, à réussi à les trouver avec son vélo. En plus, les 40°C et 99.99% d'humidité nous font vite regretter les montagnes alors on se dépêche de reprendre de l'altitude.

Vite fait bien fait, nous revoilà à 2500m, à Baños ("Bains" en français, en suisse c'est pareil je crois). La ville est un autre "hot spot" touristique, pour les "gringos", nous, les blancs, mais aussi pour les équatoriens un peu (beaucoup) moins pauvres que la moyenne.
En plus, pas de bol, on est là le week-end alors c'est la galère pour trouver une chambre à moins de 15$. Mais après 6 jours de vélo, les montures disent stop, alors on cherche à s'occuper. A Baños, on peut aller au bains : mouais, bof, les piscines qui sentent l'oeuf pourri c'est pas trop notre truc. On peut aussi descendre vers la jungle en louant des VTT et en visitant des cascades au passage : bon ben ça c'est carrément la route qu'on vient de faire en montant (et avec les bagages ...)

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On peut aussi louer des quads, des chevaux, faire du rafting, du saut à l'élastique : Euh ??? C'est la Nouvelle-Zélande ici ??!!?? On peut aussi goûter les sucreries locales et manger des "cuy" (prononcer "couilles") : Ah ! Enfin quelque chose d'intéressant !
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Et enfin, on peut aussi gravir les volcans alentours : 5500, 6000m, actif, éteints, il suffit de choisir. Mouais, on verra, y'en d'autres plus loin, mais aujourd'hui on va quand même faire une petite marche de 7h histoire de se mettre en jambe, on sait jamais ...
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Et pour finir ce soir c'est la fête de je ne sais pas quelle vierge et les locaux ils l'aiment bien, alors on en profite !
Voilà, Baños c'est fini, on a même eu le temps de réparer la roue arrière de Lydie, alors on remonte encore un peu, vers Riobamba.
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Riobamba, dernier appel pour les amateurs de volcans équatoriens !

2-3 jours de réflexion, une dernière relecture du récit des Maynardos rencontrés sur un parking colombien, et qui nous avaient bien mis l'eau à la bouche (si si ça fait envie d'imaginer devoir ramper pour grimper une montagne) et voilà, c'est décidé : la curiosité est trop forte de savoir ce que ça fait de marcher aussi haut. Le Cotopaxi est parait-il très beau avec son cratère parfois fumant, mais le Chimborazo est tout proche et encore plus haut donc le choix est vite fait. En plus à 200$ par tête pour 4 jours logés, 2 jours nourris, le guide et tout l'équipement pour ne pas trop mourrir (non pas d'oxygène, faut pas exagérer), on peut pas dire que ce soit du vol ... John, le responsable de l'agence nous laisse dormir gratos chez lui la première nuit et le 23 mai, son pick-up nous dépose devant le premier refuge ... à 4800m.

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Bon c'est sûr, c'est pas la gloire d'arriver si haut si vite, mais on s'est dit qu'en montant les 2000m de dénivelé en vélo on ne mettait pas toutes les chances de notre côté pour réussir le sommet. Alors on profite de cette rapidité de déplacement inhabituelle pour s'acclimater avec un jour et un nuit complète avant de tenter l'ascension. En bons élèves on suit à la lettre les conseils de John : boire des tonnes d'eau ou de thé de coca et juste faire une petite balade autour du deuxième refuge (refuge Whymper, du nom du premier qui est arrivé au sommet), à 5000m, avant de revenir dormir au premier.
La soirée est belle, pour la première fois depuis 3 semaines, les nuages laissent apparaître le sommet ... pourvu que ça dure ...

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En plus, nos seuls compagnons de refuge se trouvent être des cyclos allemands qui roulent des USA vers Buenos Aires ! Et ouf ! L'honneur est sauf, ils ont monté leurs vélos dans un pick-up :) Ils ont essayés sans succès d'atteindre le sommet la veille (à pied, pas en vélo ...) et sont restés ici une nuit de plus pour se remettre.
La nuit est fraîche à l'intérieur, un petit 0°C, et nous fait dire qu'il va vraiment falloir trouver une combine pour rendre nos sacs de couchage un peu plus chaud pour la suite et l'hiver qui arrive.

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Le lendemain matin, mon rhume est toujours là et l'altitude fait un peu mal à la tête. Mais rien d'alarmant comparé à certains touristes qui montent juste pour la journée et vomissent dès qu'ils sortent de voiture ...
Notre guide, Julio, tarde à nous rejoindre et l'attente nous stresse un peu (enfin, moi surtout, beaucoup). On passe le temps à discuter avec une famille française en camping-car, encore une ! Et ça nous fait très plaisir de parler en français. Tout rentre dans l'ordre vers 13h quand Julio arrive et nous voilà 3 à monter vers le deuxième refuge d'où nous partiront au milieu de la nuit prochaine.

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A 16h Julio a fini de nous préparer notre poulet au riz et à 17h30 on va au lit, après avoir mangé le dit poulet, essayé crampons et baudriers et réglé le réveil sur 22h30.
(Petite paranthèse technique : la plupart des ascensions en montagne se font de nuit pour profiter du froid et de la glace qui tient les rochers tous ensemble. En partant plus tard, le risque est grand de se prendre une grosse pierre sur la tête à la descente à cause du dégel diurne).
On a plus de compagnie ce soir, 3 jeunes qui sont montés en pick-up avec nous vont tenter de trouver le chemin sans guide et 2 autres guides accompagneront 2 autres touristes qui en ont visiblement vu d'autres ... 4 cordées en direction du sommet. Après 2-3h de sommeil difficile, on est pas trop fiers et bien stressés.
On est les premiers à partir car on a pas du tout de repères pour ce genre d'ascensions : entre 6 et 9h d'efforts nous attendent si toutefois on arrive au sommet. Et on se rassure en se disant que le sommet ne serai qu'un "plus", on est venu marcher très haut, c'est tout. Être là c'est déjà génial.

5'000m - 23h40 - La première demi-heure c'est du gateau, marche dans les pierres, en suivant la frontale de Julio

5'200m - 00h15 (temps pour monter 100m : 18min) - C'est déjà plus du tout la même histoire. On attaque une pente bien raide de travers, faite de poussière volcanique, de rochers et de glace ; les chaussures s'enfoncent et accrochent parfois ... mais pas toujours ... Dans le noir, sans voir ce qu'il y a dessous si on glisse ... Sans discussion possible un des trucs les plus effrayants qu'on ait jamais fait. Julio nous expliquera plus tard qu'on ne pouvait pas mettre les crampons car si on les cassait sur les pierres, c'était retour immédiat, mais on aurait bien aimé avoir la corde au moins ...

5'400m - 01h05 (temps pour monter 100m : 25min) - On a finalement mis les crampons et la corde, ça va beaucoup mieux. On atteint la crête, le stress retombe un peu, il était temps. Julio nous dit que normalement c'est moins dur car il y a de la neige plus bas. On paie cher le beau coucher de soleil de la veille qui a tout fait fondre ...

5'600m - 02h15 (temps pour monter 100m : 35min) - On atteint enfin la zone entièrement enneigée. C'est grisant : maintenant c'est facile, il suffit de marcher jusqu'en haut. Eric : "Je pourrai marcher des heures comme ça !" Mais bien sûr ... En dessous, on voit toujours les petites lumières des cordées suivantes.

5'700m - 02h45 (temps pour monter 100m : 30min)
Eric : calmé : mes intestins ne sont pas encore tout a fait remis de 5 jours de diarrhée et l'altitude aidant, la nausée n'est pas loin. Pause, pause et re-pause.

5'800m - 03h10 (temps pour monter 100m : 25min) - On prend le rythme. Un pas, un souffle, un pas, un souffle ... On est pire que des escargots mais à presque 6000 m on ne peut pas faire bien mieux. ça va bien pendant 5 min et c'est dur pendant les 5 suivantes avec l'estomac qui se fait sentir. Le sac à dos pourtant presque vide est de plus en plus lourd.

5'900m - 03h50 (temps pour monter 100m : 40min) -
Eric : Je mets un genou à terre ; j'ai du mal à suivre Julio et Lydie, la corde me tire à chaque fois quelques pas de plus mais je dois toujours m'arrêter tous les 20-30 pas. Je commence à monter à 4 pattes (mais pas à genoux !) bien aidé par la pente à 42° ; ça m'évite de devoir chercher mon équilibre et m'épargne quelques retournements de ventre. Je refile le sac à Lydie un moment et là c'est elle qui subit le rythme.
Lydie : J'essaie de garder un rythme et avance encore plus lentement qu'avant. Je sens Eric qui en chie mais qui a la tête dure et qui refuse d'abandonner. Je lui dit que si ça ne va pas on redescend mais il reprend son souffle et me dit que ça va aller, alors je le force à se relever et à mettre un pied devant l'autre. Je lui répète qu'on a tout le temps alors on se concentre sur notre respiration et on continue.

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6'000m - 04h20 (temps pour monter 100m : 30min) - C'est la fête ! Julio nous avait promis un bonne pause à 5'800 mais il a estimé que les multiples petits arrêts en route ont suffit et il a bien fait : on se retrouve à 6'000m en limitant les dégâts. Il fait toujours nuit noire et le froid arrive vite si on s'arrête trop longtemps. Eric reprend le sac, mais Julio a bien compris qu'il était trop lourd pour nos petites épaules et il nous allège de notre bouteille d'eau.
Ca va nettement mieux ! :) Il nous dit que le sommet n'est plus qu'à 2h d'effort.
Eric : Au point où j'en suis je doute que je sois capable de le voir ...
Lydie : Ca va être dur, mais ça va le faire ... On est à 6000m, on ne va pas abandonner maintenant. Il fait toujours nuit, et pour l'instant aucune des autres cordées ne nous a encore dépassé, c'est qu'on doit être dans les temps.

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6'240m - 05h45 (temps pour monter 100m : 37min) - Finalement voilà le premier sommet (Il y en a 2, le vrai, le plus haut est encore 450m plus loin et 50m plus haut). Le rythme est saccadé, Lydie encourage le boulet qui fait durer les pauses trop longtemps.
Eric : J'en chie méchant. Mais la lumière du jour arrive et au loin, on voit le Cotopaxi qui dépasse d'une mer de nuage. C'est magnifique. J'en pleure et je trouve ça incroyable d'être là.
Ca donne des forces, ça tombe bien, j'en ai besoin. On s'arrête a peine, Julio s'est trop souvent tapé toute la montée pour finalement s'arrêter là, alors vu qu'on a encore largement le temps et qu'on est selon lui plus en forme que les autres (hein !??) il nous laisse pas trop le choix et on file tout en haut. On réfléchira aux forces qu'il faudra pour la descente plus tard.

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6'310m - 06h20 - Finalement on y est. 6h40 de montée, 40min pour relier les deux sommets, une éternité ... 10 minutes au 100m. Usain Bolt n'a qu'à bien se tenir. Je finis en zombie, tiré par Lydie, elle-même bien aidée par Julio. Je tombe à genoux devant la croix qui marque le sommet, encore en larmes et Lydie fière d'elle me demande de prendre une photo pour rendre son père jaloux :)

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Séance photo vite fait, la lucidité manque un peu pour faire des beau cadrages ... Au loin ce sont 4 autres volcans qui dépassent des nuages : le Cotopaxi, le Sangay, l'Altar et le Tungurhua qui projette des cendres à intervalles plus ou moins réguliers. Tout à plus de 5'000m.

Sur le premier sommet, on aperçoit une autre cordée qui arrive, mais ils ne nous rejoindront pas et le sommet Whymper restera bel et bien pour nous tous seuls aujourd'hui, les autres sont trop en retard.
Avec le soleil qui monte, l'ombre du Chimborazo se projette sur le plateau, 3 km plus bas. Magique.

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Mais voilà, maintenant il faut redescendre, pas trop le choix. La descente dans la neige est techniquement facile, mais la fatigue nous fait trembler les cuisses comme rarement. Facteurs aggravants : on est bien stressés à l'idée de devoir retraverser le dévers de la partie basse et le beau temps réchauffe le sol très vite, ce qui rendra le passage encore moins stable ...

En moins de 2h on a se retrouve à 5'600m, à la limite de la neige. On croise au passage les trois jeunes sans guide qui se sont perdus en route dans la nuit et qui montent encore ... Ca parait pas très judicieux ...
Début du pierrier et début du stress. Le passage parait moins effrayant de jour : même si on tombe, on ne dévallera pas très loin ; mais les pierres commencent à voler autour de nous du fait du redoux et les cuisses brûlent et tremblent toujours plus. Devant nos hésitations, Julio prend les choses en main et nous tire à travers le pierrier pendant presque une heure.

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Le casque et les gros anoraks amortissent efficacement les projectiles. On passe à côté de blocs de glaces monstrueux qui tiennent emprisonnés des blocs de pierres du même calibre. Pas de photo, pause interdite ... Au bout d'une heure, on sort de la zone rouge, on enlève les crampons et la cordes et il ne reste plus qu'à marcher vers les refuge sur un chemin à nouveau bien marqué. On trébuche, on tombe sur les fesses, avec l'épuisement, le moindre caillou ressemble maintenant à un piège et on est finalement soulagés d'arriver sans se faire une cheville après une descente express en 3h30.

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On récupère nos sacs de couchage, on essaie de manger un bout malgré le manque d'appétit et on redescend vers le premier refuge où nous attend le pick-up. Comme toujours, Lydie est brassée dans la voiture et Julio, lui aussi bien crevé, dormira tout au long de l'heure de route. Retour chez John, douche, un bon mal de crâne et 12h de sommeil obligatoires.

John nous avait prévenu, pour voir le sommet, il faut se dépasser un peu. On a vu le sommet, on s'est beaucoup dépassé mais on peut dire que ça valait vraiment la peine surtout qu'on a eu beaucoup de chance avec la météo et aussi eu de la chance de ne pas se faire mal à la descente.
Mais on se dit qu'on a bien fait nos devoirs en faisant notre petite rando à Banos et en prenant un jour de plus pour s'acclimater à l'altitude. Lors de notre premier jour à 4800m, on a vu beaucoup de gens arriver et tenter l'ascension le jour même et ça n'a pas très bien marcher. Presque sans parler, Julio nous a juste secoué ce qu'il fallait pour nous permettre de voir le sommet et nous sortir des passages un peu tendus. A 26 ans, ça fait déjà 8 ans qu'il est guide et c'était la 18ème fois qu'il voyait le sommet Whymper. Pour l'antécime, il a arrêté de compter. Merci à lui !

Sinon Chimborazo ça a sûrement une signification, mais je ne la connais pas. J'essaierai bien "Cime - Beau - (t'as) Raison" mais je ne vois pas bien ce que du français viendrai faire par là. On se rappelera seulement de quelques nombres : 6310m et 10h20 de marche pour y arriver, avec juste ce qu'il faut de pauses pour ne pas s'évanouir. Enfin, 6310m ou presque ... 50% des panneaux (et le GPS) le donne aussi à 6268. Mais plus haut que 6'300 c'est plus impressionnant, alors j'ai recalibré le GPS au sommet pour la photo.

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Indigestion culturelle.

Le lendemain, le sommet parait déjà très loin, sûrement un effet de l'ascension de nuit, reste juste un bon mal de tête et des images plein la tête. Mais c'est déjà l'heure de reprendre les vélos, le quota de nuit gratuites est épuisé, on attaque les 220km qui nous sépare de Cuenca, prochaine étape sur l'autoroute à touristes. En route, des montagnes, presque toujours entre 2500 et 3500m, et presque tout le long les mêmes petits villages, remplis de gens bien d'ici, les indigènes, ceux qui n'ont pas trop fricotté avec les espagnols quand ils sont arrivés.

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Ce qui serait un beau déguisement pour nous, ce sont leurs habits pour aller aux champs : chapeau avec des ponpons, jupe et corsage violet super flashy, bas en laine, colliers de perles dorées. Seule touche moderne, 3 bandes sur les baskets et un téléphone portable dans la main.
La montagne est presque entièrement sculptée par ces hommes, femmes ... et enfants : les champs sont petits, les tracteurs ne sont pas arrivés jusque là. Chaque famille s'occupe de ses 2 ou 3 vaches, 2 cochons et 5 poules. On a l'impression de ne pas avancer tellement les scènes se répètent, toujours identiques, tous les 5 kms.

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Les gens paraissent dans l'ensemble sympas et nous rendent notre "Buenos dias !" avec le sourire. Sauf quand ils ne parlent que le Quichua, langue héritée de l'empire Inca (appelée aussi Décathlon ... euh ... Quechua dans le reste de l'amérique du sud) ou quand la consanguinité ou une drogue locale inconnue a fait un peu trop de ravages sur leur cerveau.

Camper ne pose pas de problème, dans une maison pas finie, à côté d'une école ou d'un poste de police, les gens nous accueillent avec le sourire et une curiosité innocente ; ils se demandent bien comment on peut survivre par cette température avec notre seule toile de tente. Par 10°C, heureusement qu'on s'en sort, dans 1 mois, il en fera 20 de moins, au moins ...
Bref, pas trop de problèmes. Sauf que ...

Sauf que, avec la fatigue résiduelle, tout nous irrite beaucoup plus facilement que d'habitude et les occasions sont nombreuses
NDLR : ceux qui n'aiment pas les récits un peu noirs devraient sauter directement au dernier paragraphe.

On commence avec les conducteurs. Fini les pouces en l'air de la Colombie. Ici les gens ne savent que klaxonner ou faire des appels de phares. Lever la main doit être trop fatiguant, l'altitude surement ... La signification peut donc varier de "Casse toi pauv' con !" à "C'est super les gars !" Impossible à interpréter. Reste juste la nuisance sonore. Et dire qu'il parait que c'est 1000 fois pire au Pérou, ça promet ...

On continue avec les chiens. Les pires depuis le début du voyage. Des petites merdes sur pattes, de toutes formes, couleurs, taille, mais quasi tous avec une haine indescriptible des cyclistes. D'un côté, je les comprend : des vélos, ils n'en voient pas beaucoup par là, le relief fait que ce n'est pas le moyen de locomotion préféré des locaux.
Mais on en est au point où on roule en permanence avec des pierres dans les poches, avec des images de carnages canin qui nous trottent dans la tête à longueur de journée (ma dernière idée étant de scotcher un clou sur mon pied pour pouvoir les abîmer quand ils s'approchent trop prêt. Par expérience, un coup de pied seul, même dans la gorge, ne leur fait pas assez mal). Evidement, on exhulte quand la pierre atteint son but et qu'on entend ce couinement tellement caractéristique du chien qui part la queue entre les jambes, parfois avec un croc cassé si la pierre lui fermé sa grande gueule.
Le "must" serait bien sûr d'en voir un se faire défoncer par la voiture qui vient derrière (en klaxonnant), demain peut être. Mais finalement, les chiens, même si on les préférerait morts, on arrive presque à les excuser.
Contrairement à leurs maitres, qui regarde parfois le spectacle d'un oeil amusé. "Llama a tu perro o lo mato !" "Appelle ton chien ou je le tue !" C'est la seule phrase qui arrive à leur tirer une réaction. Des fois c'est pas sur les chiens qu'on a envie de lancer les pierres ...

Difficile aussi de ne pas se demander quel est l'intérêt d'entretenir entre 2 et 5 chiens dans sa ferme (ils feraient mieux de les bouffer comme au Vietnam), surtout quand on voit la pauvreté ambiante. En moyenne 2 fois par jour on nous demande de l'argent quand on s'arrête dans les petits villages. "Un dolarito por favor !" "Un petit dollar s'il vous plait!" Ben non mon grand, on te donnera rien, on est blancs, mais on est pas des pompes à fric, va voir ton voisin, il peut nourrir 5 chiens, il devrait bien avoir quelque chose pour toi.
C'est cruel, c'est sûr, mais on essaie surtout de penser à ceux qui passeront derrière nous et à l'image qu'on laisserait des "gringos" et des comportements que celà engendreraient. Les autorités locales sont d'ailleurs de notre côté ; bon d'accord le panneau est paumé dans la campagne, caché derrière un arbre, mais le message est clair.

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Quand tu donnes de l'argent dans la rue, tu ne fais que multiplier la mendicité

"Gringo" ... on apprend aussi à détester ce mot, mais pas encore autant que le "Buleh" indonésien. Ca viendra peut-être ... sûrement ...

Tiens d'ailleurs quand tu es blanc, certaines lois ne s'appliquent qu'à toi. Les equatoriens se garent en triple file, sur les trottoirs, grillent les feux, mais personne ne dit rien, pas un coup de klaxon, c'est normal. Par contre, si tu es blanc en vélo, difficile de faire 20m à contre sens dans une rue à sens unique sans entendre "Mal ! Mal !" (ce qui se traduit par "Mal ! Mal !" en français). Idem si on a le malheur de rouler 10m sur un trottoir.A l'hotel c'est pareil, tout le monde gueule jusqu'à minuit passé devant ta porte, pas de problème. Par contre toi, si finalement tu élèves la voix, après avoir demandé poliment sans succès de faire un peu moins de bruit, juste assez pour que tes boules quiès arrivent enfin à couvrir un peu le bordel, et bien on va te faire un sermon de 30 min en t'expliquant que crier ça se fait pas ici (?!!??). Peut être dans ton pays, mais pas ici et que donc il faut que tu présentes des excuses (re ??!!??). Des jours je suis content qu'Axel m'ait appris toutes ces belles insultes à Quito. Ca fait pas avancer le schmilblick, mais ça soulage. Ca marche aussi contre le gars qui te crache dessus depuis le bus et le réparateur de pneu du coin qui est mort de rire en voyant la scène. Tiens d'ailleurs les bus sont toujours aussi nombreux, polluants et vides ...

Et enfin, on finit avec le clou du spectacle : le conducteur et la religion. "Dieu guide mon chemin" "Seul dieu sait quand je reviendrai" "A la grâce de Dieu".Ornez votre véhicule de ce genre de phrase, avec votre plus belle peinture et vous êtes sauvés. Mort peut être, mais sauvé.C'est un concept assez difficile à appréhender, mais un Homme pieu comprend paraît-il la différence. On peut d'ailleurs remplacer sans mal Dieu par Allah ou Bouddah, ça marche pareil. Mais ici ça prend des proportions parfois inimaginables, les évangélistes espagnols ont fait du bon boulot.Dernier exemple en date, la descente sur Cuenca. Une bonne vraie route tortueuse de montagne, de la pluie, un vent de fou et des nappes de brouillard derrière chaque virage. Là, le camion d'en face décide de doubler un autre camion à la sortie du virage, en pleine montée à 10%, alors qu'un pick-up est en train de me dépasser quand j'essaie d'éviter un chien, des éclats de verre et des travaux, à 40km/h sur la chaussée glissante avec une visibilité de 30m. Mais pas de problème. Dieu veille. Sauf que moi j'y crois pas et il ne me sauvera pas si ça tourne mal. Les travaux, la pluie, etc ... j'arrive à gérer quand je peux garder 1 m de marge autour de mon vélo. Par contre quand 3 guignols arrivent des tous les côtés, en se croyant sur l'autoroute de la foi, là j'ai du mal à garder mon sang froid et j'ai comme l'impression que Dieu a aussi du mal à contrôler tout ce bordel. En plus le gars du pick up est pas content parce que je ne serrai pas assez à droite (forcément, le chien, le verre, etc ...) alors dès qu'il m'a doublé, il plante les freins juste devant moi, pour me faire peur. Mais Dieu était (presque) de mon côté, le connard fait une embardée et manque de justesse de se foutre dans le ravin. En plus de mon index il voit maintenant aussi mon sourire dans son rétro, même si, comme la moitié des voitures, il n'a pas de plaque pour être dénoncé. De toutes manière, ça sert à rien, la police s'en fout ...

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"Un cadeau de Dieu" ... En panne ...

Et ce genre de scène s'est répétée tout au long de cette interminable demi-heure de descente. Mais tout paraît normal pour eux. Si il leur reste de la peinture qu'ils n'ont pas utilisé pour peindre leur camion, ils iront peindre un coeur sur la route en mémoire du gars qu'ils viennent de buter. (ici c'est la tradition, en plus de la croix sur le côté, les gens peignent des coeurs sur la chaussée là où ils y a eu des accidents mortels ; en Colombie c'était des étoiles, ici c'est des coeurs et on en voit un paquet par jour ...)

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Arrivés en bas, on est chauds, très très chauds, malgré les 10°C. Et les gens en ville ont beau nous sourire on ne peut pas s'empêcher de les imaginer au volant, tout aussi écervelés que tous ceux qu'on vient de croiser. Les sourires, on les rend pas. On en a plus en stock, même pas entre nous. Lydie se renferme sur elle même et moi je pète un plomb au moindre truc qui va pas. On s'engueule.
Et comme on en avait discuté avec Thierry et Sophie au refuge du Chimborazo, à la maison, quand tu t'engueules, c'est généralement pas trop grave, le lendemain tu va bosser, tu vois des gens, tu discutes d'autre chose et en revenant le soir la pression est tombée. En voyage, t'as presque pas le choix, t'es ensemble 24 sur 24, les gens que tu vois ne parlent pas la même langue que toi et te répètent bien souvent la même chose à longueur de journée (d'où tu viens, où tu vas, est ce que tu as des enfants, combien il coûte ton vélo ...). On est seuls, rien pour faire baisser la pression, bien au contraire, on doit continuer à penser pour deux, même si on vient de se gueuler dessus.

Alors on se dit que ça fait partie du jeu et on arrive encore à accepter cette règle, bien cachée, écrite en tout petit dans le manuel du voyage à deux (ou en famille). Les périodes de merde sont plus ou moins longues, les prises de becs aussi.
Mais encore une fois, ce n'est pas ça qui nous fera rentrer, on relativise en se disant que tout ne tient qu'à des différences de culture, même si c'est des fois très dur à avaler. Ca fait partie du jeu aussi, se rendre compte qu'on ne vit pas dans le monde des Bisounours. Vouloir croire le contraire, on pense que c'est tricher.

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Hier, on est arrivés à Cuenca, plein de gens sympas nous ont indiqué la route, on a trouvé du bon pain et du bon chocolat, un hôtel pas cher avec une patronne marrante et un resto qu'un musicien local vient d'ouvrir et qui nous a servi des bonnes brochettes, des humitas et du yuca pour 2$ (ça change des patates). Et cerise sur le gâteau, on a plein de gentils emails qui nous attendaient dans la boite au lettre. Tout va bien, la vie est belle. Mais on va se reposer un peu quand même.
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