Le 32ème jour ...

Aujourd'hui est notre 32ème et dernier jour au Cambodge. 32 jours à côtoyer beaucoup de gens très sympas, du moine au business man, à voir des lieux chargés d'histoire comme Angkor ou les champs d'exécutions des Khmers Rouges et à rouler dans des paysages magnifiques, des rizières aux mangroves.

32 jours aussi pour bien avoir en bouche ce petit goût amer que laisse un pays qui sent bon l'inégalité, la corruption et l'assistanat.

Lydie en avait parlé un peu dans l'article précédent, ça avait commencé très fort aux alentours de Angkor. Et la suite n'a rien fait pour améliorer l'image qu'on peut se faire de l'administration Cambodgienne et d'une facette de la mentalité locale. Les situations que je décris ci dessous ont fini par nous donner le sentiment que ni le tourisme, ni l'aide au développement des ONG n'arrivaient à créer quelque chose de positif dans ce pays, alors même qu'il en est hautement dépendant depuis 30 ans.

Attention, ce n'est pas une étude approfondie, mais juste un étalage de ce qui nous est passé par la tête en voyant ce spectacle, profondément lamentable par moments.

Premiers exemples, aux alentours d'Angkor. Sur la route entre le site principal d'Angkor et un autre temple (Banteay Srei) il y a quelques villages. Dans ces villages, la quasi totalité des puits devant les maisons sont accompagnés d'un joli panneau indiquant le nom, prénom et origine du généreux donateur de ce puits. Le joli panneau se transforme d'ailleurs en plaque en marbre (probablement plus chère que le puits lui même) pour les donateurs les plus égocentriques. A première vue ça parait bien d'amener l'eau dans les maisons des gens. Mais avec les quelques millions qui rentrent dans les caisses de Angkor à quelques centaines de mètres de là je trouve un peu gros que l'Etat n'arrive même pas à faire illusion en fournissant les puits lui même ! Là où ça devient subtil, c'est si ce même Etat laisse délibérément faire pour bien jouer sur la corde sensible des chers touristes, pour qu'ils aient bien pitié. Et des touristes sur cette route, il y en a quelques milliers par jour ... Comme ça en plus de sortir les 40$ pour les tickets d'entrée et bien ils donneront quelques dizaines ou centaines en plus à des ONG ! Ben oui, ça fait bien d'avoir son nom au dessus d'un puits chez un pauvre cambodgien, surtout si beaucoup de monde le voit ! Et hop, le tour est joué ! La populace aux alentours reste tranquille à moindre frais pour le gouvernement ! (D'ailleurs c'est le seul endroit où on a vu autant de puits sponsorisés, ailleurs ça sert à rien, personne ne verrait le nom du donateur ...)

A proximité immédiate des temples, pas d'ONG, juste des gamins qui vendent tout et n'importe quoi. Et là les gardes et les flics ne leur demande pas de comptes alors même qu'ils sont dans un site classé à l'UNESCO. Il sont sales, ils font tellement pitié !

"Oh ! Elle est tellement mignonne !" :

La même, 6min et 37 sec plus tard, après avoir déjà acheté 4 foulards à la petite qu'elle tenait dans ses bras :

Autre temple, autres quinquagénaires françaises :
"Ah non ! 5 papillons en plastique pour 2 dollars je veux pas ! 2 pour 1 dollar. C'est bon ?" "Euh ... oui !"
"Jeannick (NDLR : prénom d'emprunt) tu me prêtes encore un dollar s'il te plaît, j'ai déjà donné tous les miens"

Enfin, pour la conservation des temples c'est pareil que pour les puits ! Sur le pactole des tickets d'entrée, seuls 10% environ vont visiblement au fond de conservation. Et forcément, avec 8 millions, on fait pas grand chose comme restauration, même (surtout ?!) au Cambodge. Mais en occident, ça nous fait pitié si les temples tombent en ruine ! Alors on donne des sous pour que ça reste joli ! Sur la petite douzaine de temples qu'on a visité, quasi tous étaient au moins partiellement en rénovation, et ces travaux étaient tous, excepté un projet, financés par des organismes européens, japonais, etc ...

Je résume : les touristes paient pour accéder au site et se loger/restaurer autour, ont tellement pitié de la pauvreté ambiante qu'ils financent des ONG d'aide au développement et achètent des conneries à des gamins et pour finir ils sont fiers de découvrir que c'est leur pays qui finance la conservation du temple machin. Pendant ce temps là, le gouvernement cambodgien fait disparaitre tout le bénéfice et les cambodgiens visitent gratuitement tout le site, sans toucher du doigt les frais d'aménagement et de restauration nécessaires. C'est ça en fait la "magie d'Angkor" ?

A Phnom Penh. Quand tu arrives dans la capitale, tu comprends que c'est là que sont les sous ... Une petite comparaison s'impose pour comprendre la différence de niveau de vie entre cette ville et le reste du pays : au Cambodge, le salaire moyen est d'environ 50$ par mois. En France de 2000$ environ. 40 fois plus. A Phnom Penh, je dirai que 50% des voitures sont des gros 4x4 qui coûtent environ entre 20 et 30'000$ d'après les petites annonces que j'ai pu voir. Rapporté au salaire moyen, c'est comme si Paris était remplie à 50% de Ferrari et de Rolls ... En France on a coupé des têtes pour moins que ça si je me rappelle bien ... Le clou du spectacle c'est quand des voituriers t'arrêtent nets au milieu de la route tous les 500m pour éviter qu'un de ces gros véhicules ne doivent attendre 10 secondes en sortant de son shopping ou de son lavage. Ce sont les voituriers qui font la circulation à Phnom Penh. Les flics ne servent à rien. Mais pour le cambodgien moyen, rien d'anormal, il s'arrêtera pour laisser passer le gros 4x4 et en souriant s'il vous plaît !

Autre lieu, autre histoire. Un midi, on discute avec une jeune allemande qui est toute contente d'aller travailler dans un orphelinat. Elle doit simplement payer pour son logement et sa nourriture. !?!!?? Ah bon !? Parce que tu bosses bénévolement et en plus faut que tu paies ?? "Ben oui, et encore normalement c'est 200 euros la semaine, ils ont pas de sous pour payer la nourriture aux enfants tu comprends ..." Non. Là j'avoue je comprend pas. Je comprend d'autant moins que 2 cambodgiens différents nous ont expliqués que dans certaines régions ils pourraient faire une récolte de riz supplémentaire mais ils ne la font pas car ils ont juste assez pour vivre sans. Mais c'est vrai finalement, pourquoi ils se fatigueraient à la faire cette récolte en plus ? En cas de mauvaise récolte l'année suivante il y aura bien de l'aide humanitaire de toutes façons ! Et puis il y a les occidentaux qui viennent payer pour les orphelinats, alors ?!?

Là où ça frise l'hypocrisie, c'est quand ce gars qui ne fait pas sa récolte supplémentaire s'étrangle en entendant le prix de notre vélo et nous prend pour des millionnaires pour pouvoir voyager comme ça. On en a rencontré aussi des bosseurs et pour eux les affaires marchaient bien et ils étaient tout fiers de nous montrer leur guesthouse ou leur café internet. Ils ne passaient pas leur temps à rêver du style de vie occidental en regardant des clips à la TV à longueur de journée ...

Et j'en passe, comme cet hotel construit au milieu d'un parc naturel soi disant protégé. Ah, tiens ! Le promoteur c'est le même groupe que celui qui touche 15 Millions de dollars pour vendre les tickets d'entrée à Angkor ...
Ou encore toutes ces boites de donations pour des ONG dans les hôtels pour aider à la construction d'une école ou j'en sais quoi, histoire de jouer encore un peu plus avec la pitié des touristes. Mais comment les ONG peuvent-elles encore tolérer d'utiliser autant d'argent pour suppléer au rôle d'un état corrompu ?
Ou encore tous ces ponts et ces routes financés par la Thailande, la Chine et le Japon. Et quand par miracle un pont a été financé par le Cambodge lui même, une plaque est érigée pour bien le faire remarquer. Un sursaut de fierté nationale dans un océan d'assistanat. Et maintenant ce sont les cambodgiens qui vont reconstruire les ponts au Japon après le Tsunami ?

Et je dois encore me pincer quand je repense à ces européens rencontrés en route qui nous disaient qu'en Europe tout était pourri et que au Cambodge c'était bien mieux, que la vie était plus facile et que les gens étaient bien plus heureux ... Un jeune qui tenait une guesthouse depuis peu et qui crachait allègrement sur la France nous expliquera même que c'est très facile ici d'avoir un visa de travail et les autorisations pour ouvrir son affaire, il suffit de donner le billet à la bonne personne ... Ah oui ? Et ça c'est mieux qu'en  France ? Moi quand je vois ça, je me trouve bien chanceux d'être européen et d'habiter en Europe justement ...

Vous l'aurez compris, je ne suis pas prêt de donner un centime pour "aider" le Cambodge. J'en sors avec la désagréable impression que cet afflux d'argent facile apporté par les touristes et les ONG ne fait qu'inciter les gens à mieux tolérer les abus incroyables d'une poignée de grands décideurs politiques et industriels. Ca a l'air beaucoup plus facile pour les Cambodgiens de compter sur la pitié des occidentaux plutôt que de se frotter à leurs propres dirigeants.

Il y a 30 ans, le pays en finissait de l'époque horrible des Khmers rouges. Et 30 ans plus tard, les gens semble toujours s'accommoder de leur dépendance aux pays riches.

En 32 jours, ils ont gagné un peu de mon argent, mais pas beaucoup de ma pitié.

Au fait, pourquoi 32 jours ? Parce que l'officier qui a édité notre visa à notre arrivée s'est trompé en mettant la date d'expiration. Il nous a "donné" deux jours de plus. Il nous reste plus qu'a espérer que l'officier à la sortie ne veuille pas nous faire payer l'erreur de son collègue en nous demandant 1 ou 2 dollars pour nous mettre le tampon. Ben oui c'est vrai quoi il gagne sûrement pas très bien sa vie le pauvre. Et puis c'est quoi un dollar ?

De la pitié.

Je me suis sûrement laissé emporté dans les réflexions que j'ai ruminées trop longtemps sur mon vélo. Je n'ai certainement pas le recul et les informations nécessaires pour donné un avis vraiment éclairé, mais je trouve en tout cas important d'essayer de comprendre l'impact que les touristes que nous sommes peuvent avoir sur un pays comme le Cambodge. Je serai d'ailleurs toujours intéressé à en discuter avec les gens qui le veulent bien et qui sait, peut être qu'un jour je donnerai à nouveau 100$ à une ONG, peut être pour faire construire un puits devant une maison, avec une plaque à mon nom.

Ou pas.

 

Pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, on vous invite aussi à aller voir le récit de Rémy pour nos journées communes qui apporte aussi sa vision de la situation locale. Par contre, on lui manquait tellement ensuite qu'il est rentré maintenant ... :(

Il est midi, on doit rendre la chambre. 12 km nous séparent de la Thailande. et 500km de Bangkok qu'on devrait atteindre le 14 avril. Rien de très précis pour la route, on verra par où elle nous fait passer.

A bientôt, avec un peu moins d'états d'âmes la prochaines fois. Du moins, on essaiera.