Complètement à l'ouest

Après avoir bien profité de la Casa de ciclista pour nous tout seuls, on se décide quand même à repartir et Cristian nous guide pour trouver une route tranquille pour remonter vers El Alto. Ensuite, pas trop le choix, la route vers le sud est du même calibre que les dernières routes péruviennes : les vélos y sont considérés comme une nuisance insupportable, notamment par les chauffeurs de camion et de bus. Il n'y a pas beaucoup de routes goudronnées en Bolivie, alors ils veulent surement en profiter ... Heureusement, tout cela est en train de changer : comme en Equateur, le portrait du "sauveur" socio-populiste local, prénommé ici Evo Morales, est placardé tous les 5 km pour montrer comme il est beau, comme il est fort, et comme c'est lui avec ses petites mains qui fabrique toutes les belles nouvelles routes ; et celà reste bien moins impressionnant que ses spots de pub à la TV où une foule qui pleure de joie scande son nom suite à l'ouverture du nouvel aéroport "international" de Oruro, qui propose toute une gamme de vols : "Oruro - La Paz" ou bien "La Paz - Oruro".  Et dire que ce n'est même pas une période électorale ...
Mais Evo ne pourra rien pour nous quand on réalisera que Mlle L. (pour ne pas la nommer) a eu la bonne idée de laisser notre carte de Bolivie à La Paz. C'est vrai en fait, ça sert à rien une carte : il y a des tonnes de panneaux d'indication par là et je me plains qu'on a trop de poids ... :( Coup de bol, on s'en rend compte juste avant Patacamaya, dernière "ville" avec des cyber-café avant 500km et on pourra réimprimer une version qu'on avait sur le PC. Ca prendra quand même 2 bonnes heures, le temps de passer une avoinée à un petit malin qui voulait me pomper en douce tout ce que j'avais sur ma clé USB et d'en trouver un autre qui a une imprimante en état de marche.

IMGP4913_crop


L'amabilité des lamas

Bref, après 2 demi journées de vélo et une nuit dans une rôtisserie, nous on tourne à droite pour rejoindre le Grand Ouest Bolivien. Et si le goudron est encore là sous nos roues pour 200km, le trafic est facilement divisé par 50, car au bout le route, il n'y a rien, pas de ville digne de ce nom, juste une frontière avec le Chili et vu que les chiliens et boliviens ne sont pas les meilleurs amis du monde, on est pas embêtés par les embouteillages. Le Sajama, point culminant de Bolivie a plus de 6500m nous montre la direction sur ces 200km et de magnifiques Chullpas (tombeaux) ponctue la route entre 2 troupeaux de lamas. La nuit, ça caille bien : -10°C un matin en se levant (après avoir fait la vaisselle, l'eau gèle dans les assiettes avant qu'on ait le temps de les essuyer) Alors on apprécie bien les couvertures en polaire qu'on s'est acheté à La Paz, parce que 500g de plume dans les sacs de couchage, c'est un peu trop léger par ici.

IMGP4911_crop

Arrivés à Tambo Quemado, on tourne à gauche juste avant la frontière, on dit au revoir au goudron pour une durée indéterminée. On sait qu'il y a des pistes qui vont là où on veut et certains de nos prédécecesseurs à vélo ont fait de super roadbook (Andes by bike, tour.tk) pour ces contrées reculées, mais l'état des pistes peut changer en quelques semaines et on ignore donc la quantité de sable et de cailloux qui les recouvre actuellement ; difficile d'estimer le ratio pédalage - poussage.

Les premiers jours nous rassurent un peu, on passe facilement la barre des 40km par jour et les paysages sont eux assez inédits : pas d'arbres, mais des montagnes, des volcans, des lacs, des lamas, des lapins à grande queue (vizcachas), encore des lamas, des suris (genre de petite autruche, aperçues seulement de loin tellement elle court vite), encore des lamas et des flamants roses. Avant de se renseigner un peu sur la Bolivie, on pensait que les flamants se cantonnaient dans les régions chaudes, mais ici à plus de 4000m, ils semblent bien se faire aux températures négatives ...

IMGP5066_crop

Côté population locale, c'est tout aussi surprenant. On savait qu'on ne verrait pas grand monde, mais à ce point là, c'est presque flippant. Chachacomani est presque un village normal, à Macaya, le village est déserté, seul reste un détachement militaire logé dans un fort digne de Lucky Luke, pour surveiller les flamants roses du lac et une église tout aussi typique. Un chien aboie et on entendra des cris d'enfants semblant venir d'une école flambant neuve, mais rien de plus. Pourtant ils doivent bien avoir des parents ces gamins ?!? A la sortie du village, la piste du roadbook n'existe plus, on se perd un peu sous un soleil de plomb, mais on en profite pour voir à nouveau des chullpas. A Cruzani, des bâtiments qui semblent pourtant utilisés sonnent le creux. A 17h on arrive à Julo où la population locale semble avoir résisté à l'épidémie de disparition. On remplit nos réserves d'eau, des gamines nous guident chez leur tante qui fait épicerie (si tant est qu'on puisse utiliser ce mot pour une maison sans enseigne qui vend uniquement des crackers et des sucettes) et on reste finalement dormir dans l'école après avoir fait une partie de basket sur l'insistance de ces mêmes infatigables gamines, toutes contentes de parler avec des étrangers. On apprendra d'elles qu'un autre cyclo à dormi ici il y a une semaine et qu'un autre couple est passé il y a 2 jours. On est pas les seuls à aimer ce genre de coin :)

Même scénario le lendemain, on alterne les villages vides et les rencontres furtives. Pour encore se protéger du vent glacial, on dormira dans une école en construction à côté du village, en apercevant seulement une vague silhouette au loin, au milieu de 50 maisons fantômes. Les lamas eux, sont toujours aussi nombreux et sympas ; pas un pour nous cracher dessus.

IMGP5087

IMGP5043_crop

7 jours depuis La Paz et on arrive à Sabaya pleins d'illusions, avec des poulets-frites dans la tête, puisque d'après notre roadbook, on peut trouver à se loger et un peu plus que des crackers à manger. Illusions rapidement envolées, un resto sert un repas juste mangeable (toujours ce satané riz blanc ...) et les rayons des 2-3 échoppes ne nous promettent pas grande diversité alimentaire. On rachète donc du pain dans LA maison - boulangerie, et on tire jusqu'à Llica, village réputé un peu moins paumé à encore 2 jours de pâtes d'ici.

P1090178_crop

Boulangerie ouverte (si quelqu'un veut bien répondre quand on frappe)

Toujours du vent et pas toujours dans le dos (en général quand on en parle pas c'est qu'il est dans le dos justement ...). Au passage, on traverse un premier Salar, celui de Coipasa, probablement un des plus grand au monde aussi, mais dont tout le monde se fout tellement il est proche du maitre en la matière. Mais pour nous c'est quand même magique, car il faut bien avouer que rouler sur de telles étendues blanches c'est assez particulier. Selon comment le sel sèche, c'est par endroit bosselé, presque inroulable tellement ça tape, ou bien mou, marécageux, ou encore dur et lisse avec 20 cm d'eau par dessus et enfin, par endroits, c'est comme une dalle de ciment ultralisse qui n'en finit plus. Inutile de dire quelle configuration on préfère.

P1090203_crop

La retour vers la piste en terre est rude, les 25km avant Llica sont un enfer de sable et de tôle ondulée. 3h pour s'en sortir. 2 jours de repos à Llica, entre internet et poulets-frites et en attendant que les premiers nuages depuis 2 mois veuillent bien se dissiper pour nous laisser un beau soleil pour le  ...

... Salar de Uyuni

Le 28 août, on repart de Llica, en rêvant encore d'étendues blanches et lisses. Du blanc, on en verra. Pendant plus de 60km. Du lisse, beaucoup moins. On ne sait pas si c'est spécial cette année ou si les autres cyclos rencontrés avaient trouvé ça marrant et nous l'ont caché, mais on ne s'attendait pas à se taper les fesses de la sorte. Presque pas 5 min sans ces petites bosses irrégulières qui nous calent à 12km/h de moyenne, comme si on roulait sur des gros pavés, à perte de vue...

P1090321

Heureusement, le paysage paie largement pour ce désagrément. Du blanc, du blanc, du blanc et au loin, 2 - 3 îles dont il est strictement impossible d'estimer la taille et la distance tant l'uniformité du paysage fausse les perspectives.
Le phénomène est d'ailleurs une source infinie de photos marrantes. On jouera un peu nous aussi avec notre terre gonflable (voir article précédent) mais pas trop car le vent nous oblige à aller nous cacher sur une île au loin pour la nuit, faut pas trop trainer.

Mais comme beaucoup d'autres cyclos avant nous, l'ambiance surréaliste nous fera quand même perdre un peu les pédales et on sera pris d'une envie subite de prendre l'air ...

Montage_nu_1

Montage_nu_2

On arrive finalement sur une île déserte pour la nuit et on campe sur la plage, en compagnie des cactus, vizcachas et vestiges de récifs coralliens, témoins de l'ancienne mer intérieure à l'origine de ces Salars.

Le lendemain c'est reparti pour encore 50km de blanc et de tape-cul direction plein sud, pas loin des mines de lithium ...

IMGP5528_crop

 

Ouvrez la parenthèse

Oui, parce que le Salar, c'est beau, c'est splendide, c'est un super terrain de jeu, mais c'est surtout gavé de lithium. Peut être même que 50% des réserves planétaires de ce métal mou seraient cachées dans le sel de la région. Et le lithium, ça prend chaque jour de la valeur, parce que pour stocker l'électricité, on a encore rien trouvé de mieux : c'est léger, efficace, la température n'a aucun effet dessus. Toutes les batteries modernes en contiennent ; nos piles de secours en sont pleines et ça fait 2 ans et demi qu'elles tiennent la charge.

IMGP5486_crop

Mais évidement, c'est pas vraiment à coup de 3 grammes dans des téléphones que les problèmes arrivent (encore que Apple va probablement vendre plus de 10 millions de son nouvel Iphone5 en moins d'une semaine, ...). Là où ça se complique vraiment, c'est qu'en occident on trouve que le pétrole c'est vraiment pas bien (enfin, surtout quand il n'y en aura plus) mais on ne veut surtout pas se passer de voiture (ben ouais ! On va comment au ski après !!) Alors on commence à acheter des voitures électriques, parce que c'est beau, propre, ultra-écolo, avec de jolies batteries qui contiennent au bas mot ... 3kg de lithium ... Alors les compagnies minières et le gouvernement bolivien, c'est avec des gros dollars dans les yeux qu'ils pensent au Salar. Les uns rêvent de créer des emplois (et d'augmenter leur valeur en bourse) en alimentant la demande mondiale en véhicules "écolos" et les autres veulent enfin en finir avec cette image de pays le plus pauvre d'Amérique du sud (si tout ne disparait pas dans les poches de quelques uns).

La beauté unique du lieu ne pèse paradoxalement pas lourd face à la force commerciale de "L'Ecologie". Le pétrole aura abimé l'atmosphère, le lithium va bousiller le Salar. Et on met quoi après dans nos bagnoles quand il y a plus de lithium? On démonte le Mt Blanc pour voir de qu'il y a dessous? Peut être qu'on y trouvera une autre substance magique après tout?

Va falloir sérieusement réfléchir à aller au ski en vélo ...

Un peu de lecture en prime :
La Bolivie sur un baril de lithium
Le triangle du lithium vers un nouvel eldorado
Le pari bolivien

salar_crop

Fermez la parenthèse, retour en selle.

Après donc 100km sur du sel, on retrouve la piste et le circuit touristique standard de la région, fréquenté par une horde journalière de 4x4, qui font visiter en 3 jours ce qui nous en prendra 9. Inutile de dire qu'ils n'ont évidemment pas le temps de ralentir quelques secondes pour nous épargner un peu de poussière.
A San Pedro de Quemez, on trouve de quoi se ravitailler pour les 360km qui nous séparent de la prochaine ville. 360km, c'est pas énorme, mais le goudron n'est toujours pas d'actualité et nos roadbook nous promettent des bonnes séances de poussage, alors on se charge pour 7 jours ; en route on ne peut quasiment compter sur rien. 14 rations pour le matin, 14 rations pour le midi, 14 rations pour le soir, plus tous les en-cas. On s'en sort avec 17kg de nourriture, sans compter le poids des emballages. Avec 2 jours d'autonomie d'eau (18 litres), les vélos atteignent respectivement 50 et 70kg, comme nous. Sachant qu'il y a 3-4 cols à plus de 4'700m à passer, on a hâte d'en finir ...

P1090372_crop

 

Jour 1 :
Matin : facile, gros vent dans le dos, on avale le Salar de Chiguana en un rien de temps puisqu'il a la bonne idée d'être lisse, lui.
Après midi : horrible, la piste devient un enfer de cailloux et de sable. On met plus de 3h pour faire les 10km de montée bien raide, en devant pousser presque la moitié. En plus on doit continuer plus longtemps que prévu car le vent nous oblige à trouver un abri. Heureusement le paysage maintient une lueur de motivation et l'étude de traces de pneus de vélos laissées dans le sable nous occupent l'esprit. 8 jours plus tard, on apprendra que nos déductions étaient les bonnes, c'est bien Xavier, rencontré à La Paz, qui nous devançait de 2 jours :)

IMGP5648_crop

Jour 2 :
Fin de la montée, toujours horrible. Tu pousses, tu pédales 100m, tu pousses 200 ... A la fin, on pousse sans réfléchir si la piste est roulable ou pas tellement ça devient fatiguant de monter et descendre du vélo. Et ça continue jusqu'à ce qu'on rejoigne la piste principale qui part au Chili. Si on avait pas encore aujourd'hui le vent dans le dos, on aurait sérieusement réfléchi à changer de route et filer au Chili ... En plus on profite toujours de la bonne éducation de certains conducteurs et touristes en jeep : les premiers trouvent toujours inutile de ralentir pour éviter que leur 4x4 nous balancent des cailloux à la tête et quand ils ralentissent, c'est sur demande de leur client qui baisse sa vitre avec le zoom déjà sorti et qui, sans dire bonjour, nous siffle comme des animaux dans l'espoir de faire une bonne photo si on voulait bien le regarder. (Je ne sais toujours pas comment j'ai pu me retenir d'aller lui mettre un poing à ce c...)
On arrive finalement à la laguna Hedionda, où on ne prendra pas l'option "chambre double" entre 30 et 120 US$ (?!!??) dans l'"eco-hotel" du coin (j'ai toujours pas compris ce qu'il y a de "éco(logique)" a venir mettre un hôtel haut de gamme au milieu du désert). Ca sera camping au bord du lac et des flamants roses.

IMGP5710_crop


Jour 3 :
On zig zag entre les lacs et les volcans, c'est plutôt chouette, surtout que les 25 premiers kilomètres sont meilleurs que prévu et se font presque sans poussage. Ca se dégrade sérieusement ensuite avec presque 3h de sable presque inroulable malgré le vent dans le dos toujours sur-puissant. On se cache derrière le rocher du coin pour pique-niquer. Le moral est revenu, alors on saute le ravitaillement en eau du deuxième hôtel et on continue de pousser-rouler, sur des caillasses cette fois, vers le prochain coin abrité du vent, une formation rocheuse qui sert de coin pique-nique (et poubelle) pour les tours en jeep.

P1090416_crop


Jour 4 :
La route qui devait être difficile a été raclée récemment ; quelques kilomètres de tôle ondulée nous sont épargnés et on file donc bien plus vite que prévu à travers les superbes paysages ; on passe l'arbre de pierre et on arrive à l'entrée de la "Réserve Nationale de Faune Andine" qui couvre toute la pointe sud est de la Bolivie.
Passage obligé pour le Chili et passage obligé à la caisse : 150 bolivianos, 20CHF (16 euros). Il faut une semaine à un cycliste pour dépenser autant en nourriture ici. On le savait, on paie, pas de problème, mais on discute un peu avec le gardien quand même.

IMGP5843

- C'est quand même un peu cher l'entrée du parc non ?
- Oui mais il y a les flamants roses, les vigognes (genre de lama), les lacs et les montagnes
- Ben oui, mais ... ça vous coûte pas très cher à entretenir tout ça. Ou bien vous les nourrissez un par un les flamants ? Au nord il y en a plein aussi et on ne doit pas payer ...
Mais le garde aura un éclair d'honnêteté absolument imparable :
- Oui, mais ici, il y a les touristes ...
- ...

Tout est dit, circulez, bonne journée.

Ce n'est donc pas une réserve de faune, mais une réserve de ... touristes.

Evidement, celà nous amène une fois de plus à réfléchir au tourisme de masse et à notre comportement à nous, touristes, dans ces contrées tellement différentes de chez nous. Et on arrive presque à penser que ce genre de "réserve" à touristes a finalement du bon : ça concentre la pollution touristique dans des endroits bien précis, faciles à identifier (il suffit d'ouvrir un guide de voyage), tout en laissant le reste du pays indemne de cette fièvre de "l'argent touristique facile".

L'inconvénient majeur reste évidemment que ces lieux naturels et historiques splendides seront bientôt inaccessibles pour beaucoup du fait de la flambée des prix d'entrée, même quand ils sont situés dans des pays parmis les plus pauvres du monde. 20CHF pour cette réserve, c'est comme 6 nuits d'hôtel ici en Bolivie. Comme si l'entrée au parc national des Grisons étaient facturée 500CHF (400 euros pour le Parc des écrins en France). Ca ferait cher la rando.
Heureusement pour les locaux, ils ne paient généralement pas ce genre de taxe. Mais beaucoup de laotiens et de thais qui habitent à moins de 200 km du Cambodge et des temples d'Angkor n'auront malheureusement jamais les moyens d'aller y faire un tour, parce que nous on est prêt à payer ça une fortune comparé au niveau de vie local. Et vu qu'une fois rentrés à la maison on veut du riz et des t-shirts toujours moins chers, leur usine n'est pas prêt de leur donner une augmentation suffisante ...

Et la flambée des prix est sûrement loin d'être finie. Au Machu pichu, le prix augmente chaque année soit disant dans l'espoir de limiter le nombre de visiteurs ... L'addition moyenne frôle déjà les 200CHF pour un jour et demi de visite (train et hôtel compris). Et si vraiment ils voulaient limiter le nombre de visiteurs, il suffirait de supprimer le service de navettes et de n'autoriser que l'accès à pied pour faire un peu de sélection, mais à 20CHF les 6 km de bus, ils n'ont pas tellement envie de s'en priver surtout avec plus de 1'500 clients par jour ...

Bref, on a payé, on a un joli ticket, c'est reparti.

Le vent à bien tourné, c'est pleine face maintenant. En plus depuis qu'on est entrés dans la réserve, en plus des jeeps, on voit des camions bennes et des convois de citernes d'acide sulfurique qui débaroulent sur les pistes ensablée. La mine du coin fait son business à travers la réserve ... Va comprendre ...

Ca gâche un peu la poésie de la Laguna Colorada et des vigognes ...

IMGP5871_crop

 

Jour 5 :
La route pour le col est bonne, tant mieux, on doit monter à 4'930m, record en date. Contrairement au col de Punta Olimpica au Pérou où j'étais complètement dans le gaz à partir de 4'700m, là, ça passe tout seul. Presque deux mois d'acclimatation à plus de 3'500m, ça aide. On va voir les geysers et on redescend vers le restaurant de Chalviri, réputé pour laisser dormir les cyclos dans sa salle une fois le service terminé. En route, on croisera un sympathique couple suisse allemand de plus de 50 ans, qui montent au nord avec un vent de fou dans la tête. Ca faisait 10 km qu'ils poussaient les vélos et ils avaient encore bien 5 km avant le premier abri ... Respect.

P1090499_crop

 

Jour 6 :
Réveil à l'aube pour laisser place aux jeeps qui viennent prendre le petit déjeuner au restaurant. Une fois qu'ils seront tous repartis, on profitera des sources d'eau chaude pour nous tous seuls.
Un dernier col à 4'700m et on arrive à la Laguna Verde, lac vert, quasiment sur la frontière. Aujourd'hui c'est Lydie qui n'a pas le moral, elle en a marre de pousser son vélo dans le sable (je ne comprends vraiment pas pourquoi ...). Mais comme il nous reste un jour de marge de nourriture on pousse (littéralement) 4 km de plus pour trouver un abri au pied des 5'914m du volcan Licancabur, pour essayer d'y monter le lendemain et finir cette épopée bolivienne en beauté.

P1090519

P1090525_crop

 

Jour 7 :
Réveil encore à l'aube, on quitte notre camp de base à 4'400m et on grimpe en moins de 5h à presque 6'000m sans s'en rendre compte : un joli petit sentier, à peine un peu de neige vers le sommet, pas de mal des montagnes et pas de problème de souffle. Juste une vue incroyable sur tout ce qu'on vient de faire depuis 6 jours à vélo d'un côté et sur le désert d'Atacama au Chili, 3'500m plus bas de l'autre, avec le cratère et son lac gelé entre les deux. A 16h, on est de retour à notre camp et on ne met pas longtemps à s'endormir après un couché de soleil d'anthologie.

 

P1090542_crop

 

P1090600

 

Jour 8 :
On plie le camp et on file à la sortie de la réserve, à 10 km de là.
Fatigue de la veille + gros vent de face = grosse mauvaise humeur.
Et ça ne fait que commencer. Arrivés à la cabane, on se pose 2min à l'ombre pour boire un coup et le gardien nous réclame déjà sèchement dans son bureau. Allons bon ...

- Vous avez escaladé le Licancabur hier ?
- Oui ...
- Mais vous aviez pas de guide ?
- Ben non et franchement, on voit pas bien pourquoi il en faudrait un ...
- Ah oui, mais le guide est obligatoire ici ! Alors maintenant vous devez payer une amende de 100$ par personne.
- Pardon ??!??
- Oui, ici c'est une réserve, il y a des règles à respecter, on ne peut pas faire n'importe quoi
Sauf qu'il n'y a rien pour nous informer de cette "règle" : ni son copain à l'autre entrée, ni le moindre panneau au départ du seul sentier qui monte au sommet ... Alors ça sent quand même beaucoup l'arnaque ...
- Tout le monde le sait, dit-il, Vous êtes français, vous devriez le savoir, c'est comme le Mt Blanc ...
Raté mon grand, le Mt Blanc c'est autrement plus dur et pourtant le guide n'est pas obligatoire ...
- Bon ok, je peux vous faire moitié prix, 30$ par personne
C'est donc un escroc qui ne sait pas compter, mais ça ne marche pas non plus ça, on a été à bonne école.
- On aimerait voir le règlement écrit s'il vous plait monsieur le garde
- Comment ça ?
- Oui, c'est une réserve nationale, il doit y avoir un règlement écrit.
- Ah euh .. oui ... Mais si on vous montre le règlement écrit, vous devrez payer la somme du règlement, c'est 100$, alors vous feriez mieux de nous payer 30$ tout de suite et on en parle plus, c'est mieux pour vous
- Je voudrais voir le règlement écrit. S'il vous plait

Et le voilà parti pour 30 min de recherches intensives dans son bureau de 10m2, meublé de 2 petites armoires sur lesquelles trainent 2 ou 3 classeurs. Pendant ce temps, son collègue, tout excité à l'idée de se partager le pactole déchiffre péniblement à voix haute les 2 circulaires affichées au mur dans l'espoir de trouver un petit indice qui abonderait dans le sens de leur arnaque.
Et toutes les 5 min il revient à la charge :

- Vous voyez ce livre, c'est le registre des gens qui escaladent et qui ont payé
- Très bien, mais moi c'est le règlement que je voudrais voir et il me faudra aussi une reçu officiel de l'amende que je suis censé payer. Sans ça, moi je ne paie rien. C'est la loi en Bolivie, c'est pour lutter contre la corruption.

Il nous menacera ensuite d'appeler le poste d'immigration pour qu'ils nous retiennent à la frontière. Beaucoup moins drôle, mais on a bon espoir d'être dans notre bon droit. Et il finira par essayer d'écrire un semblant de règlement sur une feuille volante. Alors là on lui dit stop, on reprend nos vélos et on le laisse rouspéter, en espérant qu'il ne soit pas trop bon copain avec les gars de l'immigration 6 km plus loin.
Une anecdote au passage : par curiosité, au cours de nos échanges cordiaux, je lui demanderai quel est le montant de l'amende pour les chauffeurs qui ne respectent pas les panneaux de limitation à 40km/h applicable dans tout le parc ; il me répondra que oui la vitesse est normalement limitée, mais que personne ne la contrôle car les vibrations des voitures sur la piste sont beaucoup trop inconfortables pour les touristes quand les voitures vont trop doucement ... Décidément, ils ont réponses à tout ces gardes ... Ils dépensent donc des milliers dans des panneaux de limitation que même les gardes trouvent inutiles, mais ils ont pas les moyens d'en mettre un au pied du volcan ?? Des chauffeurs nous diront même que c'est pas du tout un problème de chasser dans la réserve, les gardes ne quittent jamais leur cabane. Pas de bol pour nous, les gardes voient le Licancabur depuis leur chaise ...

6 km et 1h de vélo plus tard (oui le vent est toujours de face) on arrive au poste frontière. Les officiers nous accueillent avec le sourire et ont pitié de nous avec le vent glacial. En 2 minutes nos passeport sont tamponnés et ils ne nous demandent même pas la "taxe" de sortie de 3$ réclamé à certains qui passent par là. (Buffy qui passera 5 jours plus tard aura confirmation par les officiers eux mêmes, que ça dépend des jours, des fois ils la réclament, des fois pas ...)

Merci de votre visite en Bolivie, à bientôt !

Eclats de rire et congratulations mutuelles pour avoir résister calmement aux intimidations de ce garde en uniforme.
En réfléchissant un peu, son comportement n'est pas sans rappeler celui d'un animal sauvage qui est en contact trop proche avec les êtres humains. Il devient comme ces vizcachas (les lapins à grande queue) rencontrés la veille à côté d'un point de vue très fréquenté des tours organisés : normalement les vizcachas, on ne les voit que de loin. Quand on s'approche à moins de 20m, ils disparaissent apeurés dans les rochers. Mais ici, non. Ils savent trop bien qu'ils sont mignons et que les touristes vont leur donner la becquée. Alors au bout d'un moment, il s'approchent d'eux même, pour réclamer. Mais de la bouffe, on en a juste assez pour nous, alors on va surement pas en filer à des lapins ! (et même si on en avait assez on ne donnerai rien d'ailleurs). Alors les lapins, ils sont pas contents et ils s'approchent beaucoup trop près de nos sacs à notre goût et on doit finalement les chasser à coups de pierres (qui ne leur font même pas peur car ils pensent que c'est de la nourriture qu'on leur lance ...).

IMGP5798_crop

Le gardien du parc c'est pareil : au début les touristes sont contents de lui donner 3-4 balles, on a un peu pitié d'eux, ils ont pas grand chose en Bolivie. Et un jour le gardien il réalise qu'il a du pouvoir ; pas le pouvoir de séduction du petit lapin mais le pouvoir de l'uniforme. Alors il augmente le prix d'entrée ; 20 balles ; finalement pour un touriste c'est toujours pas grand chose pour acheter sa tranquillité face à un uniforme. Mais certains jours le gardien en veut plus. Et vu que nous, on a le culot de venir ici sans louer de jeep (qui rapporte un max à ses copains), il trouve qu'on ne paie pas assez et nous harcèle un peu. Tout comme les vizcachas qui se prennent parfois des pierres, le gardien se prend parfois la honte. Mais tout comme les vizcachas, il s'en fout, il sait que son arnaque marchera peut être la prochaine fois. Généralement, les touristes s'en foutent de payer 30$ en vacances ...

Finalement on ne sait toujours pas si c'est vraiment obligatoire d'avoir un guide pour aller se promener sur le Licancabur ; évidemment j'ai voulu en avoir le coeur net, mais depuis presque 2 semaines, mes emails à la direction de la réserve restent sans réponse. A suivre, mais il y a fort à parier que d'ici peu de temps, l'accès à la réserve sera totalement interdit sans prendre un guide avec jeep à 100$ par jour, pour des raisons de sécurité sûrement. Sauf que actuellement, le plus dangereux dans la réserve, ce sont les guides qui conduisent les jeeps justement : sur les quelques 200 jeeps qu'on a vu en 7 jours, l'immense majorité n'a pas daigné levé le pied de l'accélérateur en passant à 80km/h dans les pierres à moins d'un mètre de nous. Une petite dizaine a ralenti poliment en nous saluant, 2 sont arrêtés pour nous demander si tout allait bien et 1, dont les clients étaient des cyclos qui avaient laissés leur vélo au repos, s'est arrêté pour nous donner des pommes et des biscuits.

Des 4 jours qu'on aura passé dans la réserve, on aura aussi vu plus de 4x4 que de n'importe quoi d'autre : quelques flamants (mais il y en avait bien plus au nord), quelques vigognes et beaucoup de cailloux, de sable et de 4x4 ...

Réserve à touristes on disait ...

IMGP5781_crop


Bilan ...

Encore 6 km de route défoncée et on retrouvera le goudron, le vrai, pour la première fois depuis 15 jours, après 740km de piste d'affilé à 10.5 km/h de moyenne. Pas sûr qu'on ait l'occasion et le courage de se lancer dans un truc plus long un jour. On aura poussé à cause du sable, à cause des pierres, de la pente trop raide, de la tôle ondulée, du vent, des fesses trop douloureuses ou bien à cause de tout ça en même temps. Je me surprendrai même a essayer de changer de vitesse quand pousser devenait trop dur et que les muscles chauffaient trop, comme pour changer la démultiplication de mes jambes. Ca n'a pas marché.

P1090652_crop

Mais encore une fois, on a eu notre dose de chance. Le vent a été plutôt dans notre sens, il n'y a pas fait extrêmement froid (mais le froid c'est bien quand même quand on prend seulement 2 douches en 3 semaines, ça évite les odeurs ...) Et même si on sort avec quelques bobos et crevasses aux mains qui ne cicatrisent pas depuis des semaines du fait de l'air ultra sec et salé, c'est finalement rien de significatif. Le soleil d'altitude avait tendance à me brûler les yeux malgré les lunettes mais je me suis fait des oeillères sur mon casque qui ont très bien remplies leur fonction.
Idem pour le matériel, on a quasiment pas eu à utilisé le filtre à eau, l'eau des puits était presque toujours potable, le réchaud a toujours cuit nos pâtes malgré le froid et le manque d'air (on a trouvé le dernier jour qu'en le surélevant un peu, il respirait et fonctionnait beaucoup mieux) et mis à part 2-3 vis à resserrer, les vélos ont transporté la cargaison sans broncher, même pas un petit voilage de roue. Le plus notable reste la toile de tente qui a sérieusement rétrécie. C'était déjà un peu le cas depuis qu'on était en altitude au Pérou, mais là avec le sel qui assèche encore l'air, c'était incroyable. On a du la "rallonger" à toutes les extrémités pour limiter le risque de casse des arceaux et ça a bien marché. Dès qu'on est redescendu, elle a repris sa taille presque normale.

 

 

 

Pour finir, comme tous ceux qui viennent dans la région, à vélo ou en jeep, on a eu notre dose d'émerveillement. Même si en vélo, le plaisir est un peu différé du fait de la difficulté : on est content quand on en sort et quand on revoit les photos qu'on a eu le courage de prendre entre deux poussages de vélo.

On s'en souviendra.

P1090615_crop

Retour à la civilisation, fin des restrictions !

La frontière est à 4'600m d'altitude, San Pedro de Atacama à 2'400m. 42km à rouler, plus de 2km à descendre, un toboggan géant de folie, presque apeurant. 50km/h pendant quasi 1 heure, sans donner un coup de pédale malgré le vent de face qui ne se calme pas ; la température, elle, monte à vue d'oeil, de 11°C au col, on passe à 28°c à San Pedro.

Et le choc n'est pas seulement thermique. D'une région reculée du pays le plus pauvre du continent on arrive directement dans un ghetto touristique du pays le plus riche. Les bâtiments sont une succession d'agences touristiques qui vendent des tours et louent des vélos et les rues sont remplies de jeunes baba cools pieds nus qui veulent se faire croire qu'ils sont pauvres entre deux sorties en bar branchés et deux paquets de clopes (on avait presque oublié l'odeur ...).  Difficile à nouveau de distinguer les locaux des touristes, la peau et la mode vestimentaire ont tout d'une station balnéaire branchée. Tout comme les prix des chambres et de la nourriture.

On réalise que finalement on aura pas vu grand monde en Bolivie et on a un peu la nostalgie de l'ambiance des marchés péruviens. Mais voilà, c'est comme ça, il faut toujours choisir car on ne peut pas tout voir et maintenant c'est au Chili qu'on est de toutes façons ...

Alors on se pose sur la place et on profite de revoir des gens, de retrouver de la chaleur, des arbres, des oiseaux et ... du poulet - frite :) La douche attendra encore un peu ...

P1090622_crop