Une ligne pas toute droite ...

Il fait plus de 40° lorsque nous quittons le centre ville de Carthagène ; on a l'impression d'être dans un four et nous dégoulinons de sueur après avoir fait seulement 10km.
Mais pas d'inquiétude, nous aurons le temps de récupérer : le bus de 14h est plein, ainsi que celui de 15h30. Nous achetons donc des billets pour le premier bus disponible qui partira ce soir à 19h30. Plus de 5h à patienter dans la gare de bus, à regarder les gens arriver ou repartir. On prend notre mal en patience, mais nous ne sommes pas très rassurés de savoir que nous allons arriver à Bogota en pleine nuit. L'idée de devoir rouler dans la capitale, en plus de nuit, ne nous amuse pas du tout, mais nous n'avons pas tellement le choix !

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19h30. Comme à chaque fois lorsqu'on charge les bagages, le chauffeur refuse de prendre nos vélos. Manque de place, trop encombrants, trop sales, trop gris ... A chaque fois il trouve une excuse pour nous mettre la pression et nous faire payer le maximum. Cette fois en s'en sortira à 25'000 Pesos chacun, soit environ CHF 12.-. Les heures qui suivent sont confortables mais très longues. 24h à travers la campagne Colombienne que nous ne voulions pas faire en vélo, les montagnes plus au sud nous attirent et nous n'avons pas le temps de tout faire. Le bus est confortable, étonnamment peu bruyant (d'habitude il y a la TV à fond jusqu'à 2h du matin) mais difficile de dormir à cause de la clim'. Il doit faire 12° et même si nous avions prévu une veste, nous avons oublié nos bonnets ...

On nous avait dit que nous arriverions à Bogota vers 16h30 le lendemain, mais évidement il est presque 20h lorsque nous arrivons finalement dans la capitale. Une fois les vélos remontés, les bagages chargés et le GPS allumé, nous nous mettons en route pour les 10 km qui nous séparent de la maison de la famille de Vicente, le copain de ma soeur Cosette qui va nous accueillir. La route se passe pour finir pas trop mal, il y a pas mal de pistes cyclables, et même si comme partout dans le monde on perd du temps du fait des trottoirs et des voies sans issues, on gagne un peu en tranquillité. Après une douche chaude et une bonne nuit de sommeil, les deux jours qui vont suivre seront surtout dédiés à la réparation des vélos. Nous avions achetés des pièces en Nouvelle-Zélande mais certaines se sont révélées incompatibles (merci Shimano :( ), alors Eric n'a plus qu'à tout recommencer. Heureusement il y a quelques bons magasins de vélos, un peu loins certes, mais bien mieux fournis que dans beaucoup d'autres pays.

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Pour ce qui est de l'accueil, Cosette nous en avait dit beaucoup de bien, et on ne sera pas déçu. Ça sent bon la Suisse ! De la tresse pour notre petit-déjeuner, des sandwichs au gruyère, et même une fondue ! La grand-mère de Vicente est d'origine suisse et en bonne bernoise elle a inculqué les "valeurs" suisse à ses enfants. Nous aurons le plaisir d'avoir d'excellentes discussions le long de nos 5 jours ici, et ce fût un réel plaisir de faire leur connaissance ainsi que de pouvoir en apprendre un peu plus sur la Colombie pour la suite de notre séjour.

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Nous ferons aussi la connaissance de Aline, une Jurassienne amie de la famille qui a enseigné pendant 3 ans à l'école suisse de Bogota, à 2 rues de la maison. Elle nous promènera dans la région et nous fera découvrir la ville de Zipaquira et sa fameuse cathédrale de sel. Mine se sel transformée en Cathédrale, elle peut accueillir 8400 personnes. Les lumières et l'ambiance mystique rendent l'endroit vraiment particulier. La mine est toujours en activité, et malgré les 40 tonnes de sel extraites chaque jour, il reste des réserves pour encore 500 ans.

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On en profitera aussi pour visiter l'excellent musée de l'or. 4 étages de métal qui brille, un petit air de cité d'or ...

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Le dimanche 15 avril, après ces quelques jours de repos et de dernières préparations, nous sommes prêts pour nous remettre en selle, après 37 jours sans avoir véritablement roulé !! Et nous avons bien fait de partir un dimanche, il y a moins de camions, et surtout, une partie de Bogota est fermée à la circulation pour laisser place... aux vélos !! C'est donc dans une ambiance "de vallonnière" (randonnée vélo mondialement célèbre vers Neuchâtel) que nous quittons la capitale, située à plus de 2600m d'altitude. Par contre, dans la banlieue ce sont les travaux, la pluie et la circulation qui nous accompagnent.

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Bogota, c'est 8 millions d'habitants, autant que la Suisse, alors même si c'est plus calme le dimanche, il y a quand même beaucoup de monde sur les routes. La descente de 2000m tant espérée se fait un peu attendre, mais malgré ça, nous sommes content de voir la gentillesse des conducteurs. Aucune grosse frayeur, les gens au volant sont pressés, soit, mais ils respectent les cyclos ! Ça nous change ... Et puis 25km plus loin, au détour d'un virage on tombe sur la cascade de Tequendama et on ne peut pas s'empêcher de faire une pause arepas (galette de farine de maïs) et maïs grillé pour en profiter un peu plus longtemps. Même si la rivière sent bon les égouts (peut être à cause des inondations récentes dans Bogota), l'endroit est magnifique. On ne peut pas s'empêcher non plus de repenser au foin que fait parfois le département de tourisme Néo-zélandais pour le moindre truc. Cette cascade est de très loin largement plus belle que toutes celles que nous avons vu en NZ et elle nous fait dire encore une fois que que là bas, ils sont décidément très très forts en marketing touristique (Et qu'ils ne sortent pas assez de leurs îles!)

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Cherchez la maison  de 3 étages pour vous rendre compte de l'échelle !

Il est un peu plus de 17h ce premier soir de reprise et Eric se retrouve avec son pneu arrière crevé. C'est la poisse puisque sous nos latitude la nuit arrive tôt, et dans moins d'une heure il fera nuit. On répare en vitesse et s'en suit un village rempli d'hôtels ... et de camping. On demande le prix dans 2 d'entre eux, mais à presque CHF 15.- l'emplacement au bord de la route on espérait mieux. On continue donc notre chemin, avec les frontales et on finira pas avoir un coup de bol. On demande un coin d'herbe à un motard qui rentrait dans une "hacienda", une sorte de grande ferme. On sait que derrière les balustrades se cachent des jardins et donc un potentiel coin de camping. C'est gagné, et même plus que ça. Le motard s'appelle Benjamin et c'est un homme des plus sympa que nous ayons rencontrés. Il est en charge d'une quinzaine de villas appartenant à des citadins qui viennent ici une ou deux fois par mois, et en guise de coin d'herbe pour la tente, il nous laissera les clefs pour dormir dans l'une des villas ! La classe !

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Le lendemain la descente continue, et la température augmente. Les deux jours qui suivront nous ferons réaliser que nous sommes bien proches de l'équateur. Il fait chaud, mais surtout, le temps est humide. Le soleil cogne et la reprise du vélo nous a mis à plat. Nous n'avions pas fait grand chose ces dernières semaines, et du coup on a mal au jambes, mal aux poignets et oui, on a aussi mal aux fesses ! Mais le jeu en vaut la chandelle. Les paysages sont magnifiques, des montagnes remplies de bananiers, de fleurs exotiques, de petites oiseaux jaunes, de papillons grands comme ma main, des mangues, des fruits de la passion, des oranges, des plantations de café et des gens sympas, surpris et heureux de voir des touristes ; ça nous rappelle la Serbie : les gens savent qu'ils ont une mauvaise image à l'étranger et ils essaient de donner bonne impression aux touristes.

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Arrivés à Ibagué, les choses sérieuses commencent. Devant nous se trouve un col à plus de 3200m. A la frontière entre l'Equateur et la Colombie, la Cordillère des Andes se sépare en trois et nous nous trouvons dans la vallée de la Magdalena, entre la Cordillère Orientale, où se trouve Bogota, et la Cordillère Centrale, que nous devons franchir.

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Après une nuit dans le jardin de fermiers, à dormir avec les poules et surtout avec le coq, on se promet qu'une fois à Armenia, de l'autre côté de la montagne on mangera un bon plat de "pollo" (du poulet rôti). On pourrait écrire un livre sur les nuits mouvementées qu'on a passé à essayer d'ignorer le bruit du coq, qui contrairement au dicton, ne chante pas au lever du soleil, mais gueule toute la nuit.

Le matin du 17 avril, nous commençons l'ascension du col de la Linea. Des milliers de camions nous accompagnent pendant les deux jours et demi que durera notre montée. Des milliers de camions et de voitures mais pas un seul ne nous aura fait peur, pas un. Ici, voir un camion de 52 tonnes qui ralenti dans une montée à 10% pour ne pas nous écraser, c'est la norme ; dans tous les autres pays qu'on a vu jusqu'à maintenant, ça s'appelle un miracle. Au bout d'une demi journée, on arrête de compter le nombre de pouces en l'air de la part des chauffeurs, on en a vu plus en 2 jours qu'en 2 ans (même si les serbes et les thais étaient aussi assez bons pour ça). Bref, c'est parfois dans une ambiance de Tour de France qu'on monte ce col !

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La route sillonne une vallée, ça monte beaucoup et ça descend un peu et parfois un container "Hamburg Sud" nous double et on se demande alors si il était sur "notre" cargo en provenance de la Nouvelle-Zélande. La première nuit dans la montée se fait sous la tente, dans un champ d'un gardien d'une ferme. Au réveil, on réalise que la tente est dans un torrent et que les vélos ont chacun une crevaison :( Mais le soleil revient et on arrive à 1800m dans la petite ville de Cajamarca. On décide de se prendre une chambre à l'unique hôtel et vu son prix, CHF 10.-, on aura bien fait de ne pas se prendre la tête. On passe une très bonne soirée dans une ambiance de montagne, entre les salles de billards, les boulangeries et les marchands de poulet grillé. Il n'y a apparemment pas beaucoup de touristes qui transitent pas cette ville sans grand intérêt. Mais c'est ce qui fait son charme pour nous et la gentillesse des habitants nous donne le sourire. A chaque fois qu'on demande une direction ou un prix, les gens nous répondent aimablement et bien souvent doivent répéter plusieurs fois avant qu'on comprenne. "Con mucho gusto mi vida !" = "De rien ma belle !" "A la orden mi amor !" = "A ton service mon chéri !" Reste les "surtaxes pour touristes étrangers" quand on doit acheter quelque chose sans prix affiché, inévitables, mais toujours si difficilement compréhensibles quand on réfléchi à la moindre dépense depuis deux ans ... On prend sur nous et on se rassure à la boulangerie en faisant un bon stock pour 2 francs.

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Plus que 23km avant le sommet en repartant de Cajarmaca. Le long de la route, beaucoup de mendiants qui font la "circulation" pour les camions dans les virages en épingles sans visibilité en échange d'une petite pièce. La pauvreté nous saute à nouveau aux yeux : beaucoup habitent dans de simples cabanes en bois au bord de cette route où la circulation ne cesse jamais, ils dévient le flux du ruisseau pour avoir "l'eau (polluée) courante" et offrent des services de lavage de camion, vendent des bananes ou du café au lait. Quelle misère, surtout à cette altitude où la pluie n'est jamais bien loin ...

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Le 19 avril, on passe enfin ce fameux col à 3285m. La dernière fois qu'on était à cette altitude c'était il y a plus d'un an et demi, en Chine. On y arrive après 4h d'efforts, entre soleil, brouillard et pluie, mais l'émotion est bien là lorsqu'on voit le panneau "Alto de la linea" - Le haut de la Ligne.
Comme d'habitude après un col, on s'habille chaudement (il fait 7°C), on fait une petite photo et voilà, s'en est fini de cette première ascension de col Andin !

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Et ça a bien failli être la première et la toute dernière ...

2 km plus tard, on descend tranquillement quand soudain je vois Eric tomber juste devant moi et glisser à plat ventre en compagnie de son vélo sur 5 mètres en plein milieu de la route ! Il me hurle de faire attention : il y a de l'huile sur la route ! Une vraie patinoire sur au moins 10 m de long !!! Presque aussi vite, je le vois se relever, ramasser son vélo et venir au bord s'asseoir  sur le mur. On a les deux le coeur qui va à mille à l'heure en imaginant ce qui se serait passé si un de ces milliers camions arrivait en sens inverse ou nous suivait d'un peu trop près ... Mis à part son coude et son genou égratignés, c'est surtout son poignet droit qui a tapé très fort et qui lui fait de plus en plus mal, de minute en minute. Ça n'a pas l'air catastrophique, il peut encore le bouger mais l'hypothèse d'un retour anticipé nous trotte quand même dans la tête. Côté matériel, rien de grave : un rétro démonté, des sacoches souillées mais pas trouées, contrairement aux habits et surtout à la tente qui pour une fois séchait en dehors du sac et se retrouve maintenant avec 8 aérations supplémentaires ; pas top quand on voit les trombes d'eaux qui peuvent se déverser par moment :(

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Un peu de pommade, de cachets anti-inflammatoires et un bandage plus tard, nous voilà à essayer de descendre doucement vers la ville en vélo, avec seulement la main gauche et le frein avant pour Eric. Et nous n'avons en fait pas bien le choix car la circulation dans notre sens est quasi inexistante : on apprendra que la route a été coupée derrière nous juste en dessous du col à cause d'un accident il y a de ça plus de 3 heures. Nous ferons toute la descente sans un seul camion allant dans notre sens. 1500m plus bas nous voilà à Armenia ; il est 17h et on file à l'hôpital pour avoir le coeur net. Eric s'en va voir le docteur pendant que je garde les vélos dehors. 1h plus tard, il revient avec le sourire et un beau bandage tout neuf : tout va plutôt bien, rien de cassé, juste une inflammation des tendons due au choc et qui devrait se calmer avec 2-3 jours d'immobilisation. OUF !!!
Le plus long aura finalement été de faire corriger les papiers pour l'assurance : "Marron Villeurbanne" c'est une couleur d'yeux et un lieu de naissance pas un nom et un prénom ... Le monsieur n'avait pas les yeux en face des trous en lisant son passeport. Reste le plus gênant : un méchante douleur dans sa fesse gauche : l'infirmière ne maîtrisait visiblement pas encore tout à fait les injections d'anti-inflammatoires ...

Mais encore une fois tout le monde a été d'une amabilité remarquable.

A 19h, nous voilà dans un hôtel à 17'000 pesos la nuit (CHF 8.-) pour s'y reposer 2 jours. C'est pas cher, la petite dame de l'accueil est aussi super sympa, mais on se demande encore pourquoi on ne paie pas 15'000 comme les autres clients ...

Armenia est une petite ville un peu bordélique sans attrait particulier si ce n'est les rues remplies des marchands ambulants de toutes sortes : piles, chaussures, lampes, mais surtout coco, mangues, goyaves, churros et empanadas (beignets de poulets, haricots rouges ou patate ou tout ensemble) et des minutes de téléphone. On adore !

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Et comme promis, on s'est fait un coq, pardon, un poulet, en récompense de ce premier passage de col dans la Cordillère.

PS. Petite blague pour finir: ça ne s'invente pas: "Entreprise colombienne de drogues - Les meilleurs prix de coopérative"

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PPS: "drogas" en français c'est peut-être plutôt des médicaments ...